Éloge funèbre du ticket de métro

ticket de métro

C’est sa fin ! Depuis plus d’un siècle, il se glissait dans la pochette de la veste des messieurs et au fond du sac des dames ; son poinçonneur a inspiré une chanson à Serge Gainsbourg ; il a traversé le temps en changeant parfois de couleur ; c’était un des symboles de la vie parisienne… Moi qui suis nostalgique et qui m’attache aux objets, je puis vous dire combien la mort programmée du ticket de métro m’affecte. Vous ne pouvez pas imaginer comme ce petit morceau de carton rectangulaire évoque un tas de souvenirs et me procure d’émotions. Enfant, j’avais droit à un ticket différent du ticket ordinaire, car il avait une bande rouge, c’était un ticket demi-tarif pour familles nombreuses.

Pour le pur Parisien que je revendique être, le ticket de métro est un fétiche ! Oui, un fétiche, et je pèse mes mots… C’est-à-dire un objet de culte auquel j’attribue des pouvoirs magiques et bénéfiques. Combien de numéros de téléphone inscrits à la sauvette sur un ticket de métro ? Combien de codes de portes d’entrée ?

Il a été aussi, pour moi, une anti-sèche. En faisant cet aveu, j’ai l’impression qu’on le fait disparaître pour me punir de tous les rôles coupables que je lui ai fait jouer. C’est injuste, car c’est moi le coupable, et non pas le ticket de métro.

Le ticket de métro était aussi le marque-page de tous mes livres. Je le laissais à la fin, entre la dernière page et la couverture, comme le témoin qui certifie que j’ai bien terminé le livre.

Au café, lorsque nous étions encore libres d’aller nous asseoir en terrasse sans montrer une autorisation gouvernementale, si la table était bancale, un ticket de métro plus ou moins plié devenait un objet astucieux en guise de cale improvisée.

Pour tous ceux de ma génération, ils se souviendront du temps où la RATP faisait de la réclame avec ce slogan « T’as le ticket chic ? T’as le ticket choc, tic tac toc ! Prenez la deuxième voiture ! »

Heureux, les possesseurs de vieux tickets ! Sur les sites de revente, le ticket hors d’usage se vend entre 5 et 22 euros.

Violet, Jaune, vert, blanc : à chaque couleur son époque. Des souvenirs d'un vieux monde que je ne puis oublier. Faire mourir le ticket de métro, c’est un peu moi que l’on mutile !

En 1968, les premiers tickets magnétiques apparaissent, avec la bande marron. Ah, cette fameuse bande ! Rien qu’à elle seule, je pourrais lui faire l’hommage d’une ode. Depuis, allez savoir pourquoi, les Parisiennes demandent « le ticket de métro » dans les instituts de beauté…

La mort du ticket de métro est encore un de ces mauvais tours imaginé par des technocrates qui manquent de poésie.

Il a été remplacé par une carte en plastique dénuée de charme au nom vulgaire qui m’écorche les lèvres : « la carte Easy » ! Il faudrait pendre haut et court ces traîtres à la langue française et au bon goût pour avoir trouvé un nom pareil.

Le ticket de métro pouvait se donner pour dépanner un ami. Comme les actions d’autrefois, il était au porteur. C’était anonyme et sans trace.

La funeste carte Easy ne se prête pas. Elle contrarie l’amitié et n’est vouée qu’à son triste office quand le ticket, lui, était multi-usage.

Le ticket de métro mérite d’être célébré pour ses bons et loyaux services durant plus d’un siècle ! Malheur aux technocrates sans imagination et sans poésie qui ont voulu sa mort !

Charles-Henri d'Elloy
Charles-Henri d'Elloy
Écrivain, polémiste

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