2005-2023 : ces différences qui marquent un grand basculement

C'est la question qui taraude commentateurs et hommes politiques : ces émeutes de 2023 ne sont-elles qu'une réplique de celles de 2005 ? Les ressemblances sont nombreuses : mort d'un jeune, embrasement des banlieues et jusqu'aux solutions précipitamment proposées par des élus LR - Pécresse en tête - en panne d'idées : plan banlieues, etc. Par ailleurs, cet embrasement était attendu et redouté : depuis les aveux de Gérard Collomb, le sujet d'un embrasement généralisé n'était plus tabou. Avec une hantise : et si la situation devenait incontrôlable, quelles conséquences, notamment politiques ? En ce 1er juillet 2023, après quatre jours d'émeutes, la question est bien là : y sommes-nous ? Sommes-nous arrivés à ce point de bascule qui indiquerait que nous sommes passés à autre chose, que le problème a changé de dimension ?

Instinctivement, oui. Rationnellement, les données objectives confirment l'intuition. D'abord, selon les chiffres de Wikipédia pour 2005, il y a une nette progression quantitative, d'abord du nombre de villes et de quartiers touchés. Ce que confirme Annie Fourcaut, professeur émérite à l’université Paris Panthéon Sorbonne, historienne spécialiste du développement des banlieues et de l’histoire du Grand Paris dans une interview à Public sénat« Les émeutes de cette semaine sont un peu différentes, il y a tout de suite eu une généralisation du mouvement à l’échelle nationale. Ensuite, on observe de nombreux incidents dans le cœur des villes, dans les centres-villes et même dans des villes de taille moyenne. La carte des émeutes ne correspond pas du tout à celle de 2005 où les émeutes avaient clairement lieu dans les quartiers les plus pauvres de France. »

Ce qui, au passage, tord le cou à la lecture sociale de ces émeutes. Par exemple, la ville d'Agen, en Lot-et-Garonne, a connu une nuit de violences inédites.

Augmentation, aussi, du nombre de voitures incendiées (le maximum de 1.400 par jour de 2005 est d'ores et déjà dépassé), du nombre d'interpellations et de policiers blessés. Vendredi, sur Europe 1, Éric Zemmour soulignait l'augmentation des effectifs mobilisés : on est passé de 10.000-12.000, en 2005, à plus de 40.000, aujourd'hui.

Cette explosion quantitative du phénomène ne peut être sans conséquence, surtout quand l'effort massif ne parvient pas à endiguer les émeutes. Et la fois d'après, ce sera quoi ?

Mais, outre leur extension, il y a aussi des changements dans la nature des violences. Utilisation d'armes, comme le reconnaît prudemment BFM, ce samedi. Des tirs de kalachnikov ont aussi eu lieu à La Duchère, à Lyon.

Et puis, il y a aussi un élargissement inquiétant des cibles, avec les attaques d'élus, comme à Cholet, à Pontoise ou, cette nuit même, à L'Haÿ-les-roses. Et l'appel de M. Mélenchon à « ne pas toucher aux écoles, bibliothèques et gymnases » véhicule un sous-entendu vertigineux. Incontestablement, un cran de plus dans la décivilisation et un pas supplémentaire vers une « guerre » (c'est le mot qu'emploie le maire de Pontoise).

Bien sûr, tout cela était prévisible, vu l'évolution des violences urbaines, ces dernières années, comme Charlotte d'Ornellas le rappelait sur le plateau de Christine Kelly : « Depuis deux jours, on nous dit "ça rappelle 2005" comme s’il ne s’était rien passé entre 2005 et hier [...] on traite quotidiennement des informations lunaires sans jamais les lier les unes aux autres ! »

Évidemment, cette amplification des émeutes entraîne une modification à un autre niveau, celui des perceptions et des conséquences. Les réactions traditionnelles (plan banlieues, etc.) comme celle de Valérie Pécresse, qui recueillaient l'assentiment d'une majorité, suscitent au mieux le scepticisme. Un sondage en ligne du Figaro indiquait, vendredi, que 54 % des lecteurs s'opposaient à un énième plan banlieue.

Dès lors, quelles conséquences politiques ? Du côté de l'opposition, LFI s'est installée dans une position radicale de complaisance pour les émeutiers qui, vu les distances prises par ses partenaires de la NUPES, est une nouvelle étape de l'agonie du mélenchonisme. Là où le RN poursuit son parcours sans faute de force responsable. Pour le pouvoir, si Mme Borne espérait encore, il y a quatre jours, sauver son poste, on voit mal comment elle pourrait conduire le redressement ferme attendu par les Français. Pour Emmanuel Macron, paradoxalement, il dispose là de l'occasion qui lui manquait de s'assurer le soutien du groupe LR sur une politique de fermeté. Mais s'il devait se contenter d'une politique du type plan Borloo, sa majorité à l'Assemblée serait davantage encore fragilisée. Si l'on regarde vers 2005, ces émeutes avaient propulsé le ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, vers une popularité forte qui lui ouvrit ensuite la voie de l'Élysée. Pas sûr que ce soit le destin de M. Darmanin. En revanche, la demande d'autorité et de fermeté sera encore plus forte et les Français se tourneront vers celui ou celle qui sera le plus crédible pour l'incarner.

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Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

Vos commentaires

20 commentaires

  1. Vous dites « En revanche, la demande d’autorité et de fermeté sera encore plus forte et les Français se tourneront vers celui ou celle qui sera le plus crédible pour l’incarner »
    La demande d’autorité ça profite à l’état: plus de contrôle des individus, censure d’internet, lois d’exceptions, limitation des déplacements, privation des libertés. L’épisode covid nous a donné un avant goût…

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