11 novembre 1918 : Augustin Trébuchon, dernier tué de la Grande Guerre

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Il y a les hommages solennels et la tragique ironie du destin qui fait qu'une vie a été fauchée d'une balle dans la tête dix minutes avant l'armistice.

Le Lozérien Augustin Trébuchon est mort à quarante ans. Agent de liaison, il apportait de la soupe à ses camarades. Et il est la dernière victime française disparue au combat.

Au combat parce que la soupe était bien plus que de la soupe : l'occasion d'un dernier sursaut, la chance d'une ultime vigueur, un peu de quotidien familier dans l'enfer.

Augustin Trébuchon.

Sans la remarquable émission dominicale de France Inter "Interception", le nom de ce brave me serait demeuré inconnu.

Aujourd'hui, il m'apparaît si loin - cent ans - mais si près.

Savoir que sa famille a subi le désespoir de le perdre alors que tout, enfin, allait finir et l'horreur s'interrompre, et le bonheur revenir, est déchirant. Il est présent, là, et mes songes n'ont aucun mal à le ressusciter, ce vaillant héros de quarante ans accomplissant l'une des tâches les plus banales de l'existence mais dans un contexte effrayant.

Il va vite autant qu'il le peut, il se protège, soucieux surtout de ses frères d'armes qui l'attendent et l'espèrent.

Augustin Trébuchon.

Ce serait très démagogique et d'une émotion facile de se contenter de déplorer et d'admirer. Ce qu'il a accompli, aurais-je eu le courage de le faire ? Je sais bien que, parfois, les circonstances font le héros, mais rien ne m'exaspère plus que les audacieux rétrospectifs et les intrépides du café du commerce.

Augustin Trébuchon tué de cette balle dans sa tête rend évidemment dérisoires toutes les joutes intellectuelles et médiatiques dans lesquelles je suis impliqué, les aigreurs et les vulgarités des uns, les désaccords et les oppositions des autres. Quelle importance que cette écume qui n'a pour but que de nous faire oublier que nous sommes mortels, quand la mort est survenue pour lui si injustement, comme une sale voleuse, dix minutes avant un terme qui allait tout changer...

Augustin Trébuchon, oui, si loin et si près.

Son visage est sérieux, attentif, concentré. Il nous regarde du profond des âges. Surtout, il donne une leçon. Le tragique, l'horreur, la mémoire, le respect devraient peser si lourd à cause du passé qu'ils devraient nous faire oublier nous-mêmes aujourd'hui...

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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