Gilets jaunes : entre fracture sociale et « globalisation » mondiale…

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« La modération des personnes heureuses vient du calme que la bonne fortune donne à leur humeur », avait écrit La Rochefoucauld.

Qui peut comprendre, aujourd’hui, cette France que l’on range aisément dans la catégorie des gilets jaunes ? Depuis le 17 novembre, des blocages routiers, des insultes et des rixes fusent dans tout le pays. L’objet de la révolte : la forte baisse du pouvoir d’achat.

Le Président Macron et son porte-parole Benjamin Griveaux justifient sans vergogne leurs mesures antisociales par des déclarations relevant du mépris de classe : les « Français moyens » seraient, pour le premier, des « Gaulois réfractaires au changement » (le 29 août) ou bien "des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel" pour le second (le 28 octobre).

Un immense fossé s’est creusé entre ces Français du saucisson, des tripes, du « coup d’rouge » et des rocardo-strauss-kahniens pour qui tout est affaire de business plan. Il n’y a plus de circuits courts et de routes départementales là où il n’y a de place que pour les autoroutes et les trains à grande vitesse. Il convient de savoir pourquoi "la France périphérique" (dixit le géographe Christophe Guilluy) est sciemment sacrifiée par la technocratie bruxello-berlinoise. Car la fracture n’est plus seulement sociale, mais intégrale.

La France du terroir et des territoires paie très cher les frais de la décentralisation et de l’enrichissement des grandes métropoles. Le politique préfère être soit maire de grande ville soit président d’un Land (« région », en allemand) au lieu d’être ministre. Car la germanisation administrative de la France constitue le grand projet du présent et de l’avenir. Les réformes Hartz menées par Gerhard Schröder, en Allemagne dès 2003, ont été la rampe de lancement du travail précaire et malléable à souhait : "schröderiser" le salariat pour mieux "uberiser" les services.

L’État français surendetté taxe alors mécaniquement autant les produits que les salaires et dissout les conseils généraux ainsi que les petites communes. Durkheim disait : « Nous sommes agis plus que nous n’agissons. »

L’organisation publicitaire du divertissement mondial fait en sorte que nous soyons anglo-américains de novembre à décembre (Halloween et Thanksgiving) et que nous nous meublions comme les Suédois. La mondialisation, simultanément économique, commerciale, culturelle et technologique, constitue une vaste opération d’uniformisation : tout y est standardisé. Le monde n’a jamais été aussi ouvert alors qu’il n’a, en réalité, jamais été aussi cloisonné. Les peuples se privent tragiquement, d’un même geste, de leur souveraineté et de leur identité.

Il n’y aurait de quotidien viable uniquement entre la ville-musée et la ville-monde (Paris, New York, Séoul…). D’un trottoir à un autre, l’individu est pressé entre les commerces halal et la "zone Lesbian Gay Bisexual Transgender". Il doit se gaver de hot-dogs, de burgers, de tacos et de kebabs, puis marcher entre les vélos, les skateboards et les trottinettes électriques. Dans ce brouhaha permanent, les hommes et les femmes ne se parlent pas. Les algorithmes déterminent avec qui chacun est assorti : souscrire à une appli pour se faire des amis. Le Français dépossédé ne réfléchit plus qu’en termes de catégories, comme les Asiatiques, et finit par préférer les objets à la chair, comme les Britanniques. La mondialisation écrase celui qui ne se dépersonnalise pas. L’expropriation précède la désappropriation comme l’angoisse précède la désespérance : on s’abandonne d’autant plus lorsque tout est abandonné. Certains se suicident encore sur les rails comme des Japonais alors que d’autres s’autoproduisent déjà comme des Californiens (procréation médicalement assistée et gestation pour autrui).

Les gilets jaunes « racistes, homophobes et antisémites » (selon le ministre de l’Intérieur) ne veulent simplement pas mourir. Sans avoir rien demandé, ils se retrouvent dépossédés de tout ce qui a fait leur identité. Et quand on est désespéré, on finit par commettre les actes les plus insensés. Mais des invisibles ne veulent plus être indivisibles. À l’évidence, toute crise sociale est une crise nationale.

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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