Le vibrant réquisitoire de Régis Debray contre Emmanuel Macron
Régis Debray s’avère un brillant pourfendeur du candidat d’En marche ! Emmanuel Macron. À l’occasion de la publication de son livre ce 4 mai, Civilisation - Comment nous sommes devenus américains (Gallimard), il commente l’actualité de l’élection présidentielle dans la presse.
D’abord, Régis Debray plante le décor dans Le Monde du jeudi 4 mai lorsqu’il rappelle les deux destinations qui ont le plus profité électoralement à Macron « le patriote » autoproclamé : « Mais où a-t-il obtenu son meilleur score, au premier tour, avec une majorité absolue ? Chez les Français de New York et de la City, patriotes un peu étranges, disons : évasifs. » Une ironie qui fait mouche !
De la City à la Rotonde, il n’y a qu’un pas que Régis Debray franchit sans hésiter en affirmant qu’il faut empêcher que le monde se défasse, « c’est-à-dire conserver autant que faire se peut l’imparfait du subjonctif, la Sécurité sociale, les poulets de ferme, une vieille méfiance envers les banques d’affaires, plus une tendance invétérée à préférer la souveraineté du peuple à celle du people, des copains du Fouquet’s ou de la Rotonde ». Et d’avouer sincèrement : « Certes, quand on est un bobo, et j’en suis un, on aime mieux le chic rive gauche que le fric rive droite, mais il y a tant de passerelles entre Neuilly et Montparnasse. » Et sur ce que symbolise la fête de la Rotonde : « Et cette fête impudique, sans attendre, avec les vedettes très in du Tout-Paris branché… Allez les ploucs, vous n’avez pas le choix, alignez-vous, et vite ! »
Mais revenons au résultat du premier tour… S’adressant cette fois-ci à Alain Finkielkraut dans L’Express, Régis Debray constate qu’un vote de classe a eu lieu et auquel correspond une attitude type de l’électorat : « […] Le clivage des classes aura rarement été aussi net. Le Pen : petites villes industrialisées et zones rurales, les paumés [NDLR : un dernier terme un peu condescendant]. Fillon, la bourgeoisie tradi, à Paris, le XVIe et le XVIIe, les satisfaits, vieux patrimoine. Mélenchon : 34 % en Seine-Saint-Denis et à Mantes-la-Jolie, les mécontents qui ont raison de l’être. Macron : le haut de gamme aisé, diplômé et heureux » ("L’autre débat de l’entre-deux-tours", propos recueillis par Alexis Lacroix et Anne Rosencher, du 3 au 9 mai).
Debray fait appel alors à ses souvenirs : « Notre vaillant et futur président a, en effet, réussi une belle synthèse entre la tradition catholique sociale [NDLR : plutôt « démocrate-chrétienne »], Bayrou et Delors, et la ligne protestante, Rocard et Jospin. Cette martingale miraculeuse avait fait défaut à son lointain prédécesseur, Lecanuet, candidat à la présidentielle de 1965, démocrate-chrétien, agrégé de philo, jeune et photogénique, européen et atlantiste qui lui aussi voulait casser le système et remettre, textuellement, “la France en marche” » (Le Monde).
Il reste à Régis Debray de décrire Macron comme un archétype hypermoderne, une tête de pont du néolibéralisme mutant : « Le néo-protestantisme sécularisé, c’est le substitut culturel du self-made-man […] Le post-moderne estime pouvoir tout choisir de son existence, y compris lui-même, sans fil à la patte. Pas de destin, pas d’appartenance à subir et le moins de passé possible. On préfère le conceptuel au charnel. D’où l’attrait pour une Europe hors-sol, la cité conceptuelle par excellence » (L’Express).
À l’instar du candidat Mélenchon, pour lequel il a voté au premier tour - même s’il ne partage pas toutes ses vues -, Régis Debray ne tient pas à dire pour qui il votera au deuxième tour. En tout cas, il va lui être difficile de glisser un bulletin Macron dans l’urne. Ses arguments assument une insoumission résolue à l’ordre libéral-libertaire et post-national.
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