Virginie F. est professeur agrégée de lettres dans un collège du sud de la France. Toutes les semaines, elle livre aux lecteurs de BV son quotidien édifiant, tragique, inimaginable pour ceux qui n'y sont pas plongés. Quatrième épisode.

Ma classe de 4e a été sélectionnée pour participer à un concours pompeusement intitulé « Droits fondamentaux ». Enfin, pour dire les choses plus justement, le principal du collège m'a suppliée, lors de notre premier entretien téléphonique, d'accepter cette « mission », étant donné que tous les collègues avaient refusé. Bien que cela sentît le coup fourré à une lieue, il eût été discourtois de refuser avant même de mettre un pied dans l'établissement. J'acceptai donc. C'est ainsi que ma classe fut « sélectionnée »… Renseignements pris, ce concours est rigoureusement organisé et mobilise des énergies nombreuses. Les joutes oratoires auront lieu dans divers tribunaux, arbitrées par des magistrats, et chaque classe sera accompagnée tout au long de l'année par un avocat et un juge. Rien de moins.

Après trois mois d'attente arrive enfin le premier rendez-vous avec notre binôme judiciaire. Nous réunissons donc la classe, ma collègue historienne et moi-même, pour accueillir dignement Mme le juge et M. l'avocat, escortés par notre principal exultant qui nous fera même l'honneur d'assister à la première partie de l'intervention, acquiesçant ostensiblement à chaque remarque du juge et manifestant autant que faire se peut la fierté que lui procurent les brillantes réponses de ses chers petits.

Les deux comparses commencent par présenter leur métier. Très longuement. Je me permets de signaler que, contre toute attente, les élèves ont été exemplaires. La juge, puisqu'ainsi elle souhaite être appelée, invite les filles à se lancer dans de longues études, à ne pas avoir peur, à prendre les postes à responsabilités… Petit laïus féministe fleurant bon les années 80… Pourtant, elle indique elle-même juste après que dans son tribunal, sur seize magistrats, il n'y a que deux hommes, et que parmi les avocats, si la parité existe encore, la balance penchera bientôt du côté des femmes. Elle sera étonnée quand, à l'intercours, je lui ferai remarquer le paradoxe de son discours et que je lui signalerai que, dans nos établissements, ce sont plutôt les garçons que nous cherchons à motiver pour les études, et que d'une manière générale, les filles ne manquent ni en fac de droit ni en fac de médecine ni en classe préparatoire… « Quand on dit que 14 magistrats sur 16 sont des femmes, il peut sembler étonnant d'inciter les femmes à prendre encore plus de place, non ? » Elle n'avait pas pensé à cela, me répond-elle… Dont acte. Elle a quand même un petit air de Sandrine Rousseau ; peut-être la coupe de cheveux…

La deuxième partie de l'intervention doit être consacrée à l'étude de l'article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui sera au cœur du débat. « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » La Révolution étant visiblement inconnue des élèves, l'éminente magistrate nous fait un cours d'Histoire : « La Révolution a eu lieu parce que le peuple était écrasé sous des impôts injustes et ne supportait plus l'arbitraire du pouvoir. Le roi décidait de tout, tout seul, selon son bon vouloir. S'il passait devant votre maison et qu'elle lui plaisait, hop, elle devenait à lui et vous alliez vivre ailleurs. Si vous travailliez bien, il vous disait de venir travailler pour lui, gratuitement, et vous étiez obligé, et on vous logeait dans une grange, sans salaire. Si votre fille lui plaisait, il la prenait. Il pouvait vous envoyer en prison sans procès, juste comme ça, et il pouvait même vous condamner à mort, de façon arbitraire. C'est pour cela que les gens se sont révoltés, et ils ont instauré la liberté, l'égalité et la dignité humaine. » Après vingt ans d'Éducation nationale, je croyais être blindée et ne plus réagir aux déferlantes idéologiques, mais là, je suis un peu noyée sous tant de contre-vérités et de mensonges énormes. Le pire est qu'elle a l'air de croire sincèrement à ce qu'elle dit ! Et l'ayatollah de la République laïque qui est à ses côtés acquiesce avec ravissement. Puis elle nous propose un florilège : elle parle de la loi sur le mariage « pour tous » qui a « enfin » permis aux gens qui s'aiment de vivre ensemble, de l'abolition de la peine de mort qui est encore pratiquée de façon « barbare » aux États-Unis, etc.

Comme les élèves, c'est avec une joie franche que j'ai entendu la sonnerie retentir. Je ne les ai pas raccompagnés car j'avais cours, mais je les ai imaginés, repartant dans leur petite voiture électrique, l'habitacle réglé sur 19 degrés et le régulateur de vitesse sur 30 km/h, parce que l'essentiel, dans la vie, c'est de respecter les autres…

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29 janvier 2023

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28 commentaires

  1. Purement et simplement édifiant. L’initiative était intéressante, sensibilisation au 3eme pouvoir. Mais sans cadre précis et étant donnée que la nature wokiste a horreur du vide, la leçon de chose a été dévoyée en séance militante, cherchant à recruter nos « chères têtes blondes ». On peut légitimement s’interroger sur la neutralité de CE juge

  2. Pas un mot sur l’avocat, je vais donc le faire : d’auxiliaire cette profession passe à supplétive. Le revenu de nombre d’avocats dépend de la magistrature qui fait non pas du droit mais ce qu’elle veut. Donc leur discours…ne manque pas dans cette journée.

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