God save the Queen. On ne sait pas si la reine est « sauvée », c’est-à-dire si elle est sainte, mais elle fait déjà des miracles : l’espace d’une soirée, elle a réconcilié Le Pen et Macron, Biden et Trump, et même Poutine et Zelensky. Elle remet au travail les grévistes dans son pays et inspire, dans le nôtre, le « respect » à Sandrine Rousseau. Convenons qu’à côté d’une telle prouesse, guérir les écrouelles est fastoche.

Rajoutons qu’à 96 ans, elle fait la une de tous les médias internationaux et sature les réseaux sociaux.

Mais son plus grand prodige n’est pas là. À travers elle, le monde entier pleure, depuis jeudi soir, tout ce qu’il conspue le reste du temps : tradition, transmission, pays, fidélité, dignité, royauté, pays, honneur, devoir, rang, élégance, bienséance, préséance, famille, Dieu.

Même l’Élysée a oublié son inclusion, ses celles-et-ceux, sa lutte-contre-les-discriminations-de-genre, et toute sa novlangue, dans son communiqué. Il semble avoir embauché Philippe de Villiers ou Patrick Buisson pour écrire un communiqué qui ressemble à la première page d’un roman de Jean Raspail : au détour de l’hommage, il évoque « ce matin où l’archevêque de Canterbury déposa sur son front la couronne trop tôt quittée par son père ». Naissait alors « Sa Majesté Élisabeth II reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la foi ». Ou bien, et ces deux simples mots avaient un pouvoir d’évocation suffisant, « la reine ». « Dès lors, elle se donna tout entière à son royaume. Rarement des sujets s’identifièrent autant à un souverain, scrutant ses regards et ses mots, ses tenues et ses gestes, qui portaient tout à la fois l’héritage du passé et la confiance en l’avenir. Elle faisait corps avec sa nation : elle incarnait un peuple, un territoire, une volonté commune. Une stabilité, aussi : à travers les fluctuations et les remous de la politique, une permanence au parfum d’éternité. »

Ce gouvernement qui ne connaît et reconnaît que les « valeurs-de-la-République » découvre que feu la reine en avait quelques-unes qui valaient bien les siennes. Qu’il fait plus doux vivre sous monarchie britannique qu’en république pakistanaise. Ce qui explique peut-être, au passage, pourquoi tant de ressortissants de la dernière cherchent à joindre la première ?

God save the Queen. Nul besoin d’être royaliste pour en convenir : citer les saillies sarcastiques de Surcouf à l’endroit des Anglais sans honneur, rappeler qu’ils ont brûlé Jeanne d’Arc, chanter, bravaches, « Et m… pour le roi d’Angleterre », ne saurait nous faire oublier que la perfide Albion a sur la France un supplément d’on ne sait quoi, sans doute un doux mélange d’unité, d’esthétique et d’espérance. On peut railler la religion anglicane, ses origines scabreuses et ses dérives scandaleuses, entendre toute une jeunesse attroupée devant Buckingham Palace - parfois cravaté, toujours ébouriffée comme seuls savent l’être les Anglais - entonner, les larmes aux yeux, en apprenant le décès, God save the King - la reine est morte, vive le roi -, nous rend envieux.

God Save the Queen, mais the Queen a un peu sauvé Dieu aussi, au Royaume-Uni. Quand notre pays, lui, l'a chassé. Et se dire que cet hymne est à l’origine un cantique… français ne suffit pas à nous consoler.

« Never explain, never complain » était sa devise. Celle d’une couronne d’Angleterre avant sa peoplisation et ses états d’âme de pauvre petite fille riche. Une devise peut-être un peu sévère, mais « always explain, always complain » est délétère. Son mari était son seul confident. 73 ans de mariage. Une longévité conjugale que n’auront pas connue la plupart de leurs enfants. En 2011, la reine avait déclaré qu'il était son roc, sa force, son soutien. Sur son lit de mort, l’ultime demande du duc d’Edimbourg à son fils Charles - aujourd’hui Charles III - avait été de « prendre soin de la reine ».

Oui, tout ce qu’elle représentait était diamétralement opposé à l’esprit du temps. Le plus bel hommage à lui rendre consisterait à se demander, ne serait-ce qu'une minute, pourquoi, en dépit de ce constat - à cause de ce constat ? -, elle fascine autant.

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09 septembre 2022 à 18:05

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21 commentaires

  1. Bravo Madame Cluzel pour votre hommage à la reine Elizabeth II , et ce passage de votre chronique =  » à travers elle le monde entier pleure, depuis jeudi soir , tout ce qu’il conspue le reste du temps : tradition, transmission, pays, fidélité, dignité, royauté, honneur, devoir, rang, élégance, bienséance, préséance, famille, Dieu . »
    Sur le chemin qui menait ce mardi 12 septembre le cercueil dans la cathédrale Saint Gilles d’ Edimbourg , une foule immense et silencieuse, la cérémonie religieuse orchestrée avec simplicité , une soliste accompagnée d’une femme jouant de la harpe, une lecture par la première ministre écossaise Nicola Sturgeon … un peuple soudé , ignorant pour la circonstance les divergences d’intérêt ou d’opinions ….

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