Stage pauvreté pour les politiques : derrière l’apparente générosité, le comble de l’hypocrisie
Les politiques de droite et de gauche sont tellement honnis - la plupart du temps à tort - qu'ils sont prêts à concéder tout et n'importe quoi à la démagogie et au masochisme.
Ils sont rares, ceux qui ont osé dire d'emblée que le stage pauvreté proposé par certains gilets jaunes n'était pas une bonne idée.
Ils sont rares, d'abord parce qu'il faut avoir du courage pour ne pas succomber à la bonne conscience majoritaire rendant quasiment impossible toute contestation. Ce serait se situer du côté des sans-cœur et ne pas aller au secours des déshérités, offrir de soi une triste image !
Pourtant, en sachant que moi-même je ne serais pas enthousiaste pour une telle entreprise ridicule de solidarité, je n'aurais pas honte de mon opposition parce qu'elle pourrait être fondée sans qu'on ait le droit de suspecter mon humanisme.
Cette initiative, derrière son apparente générosité, serait le comble de l'hypocrisie. Laisser penser que plusieurs jours de "maraude", la compagnie et l'observation des miséreux et des sans-abri, une plongée concrète et très provisoire dans l'univers de la précarité représenterait une avancée sociale et démocratique est une indécence. Imaginons des députés pleins de bonne volonté jouant à être les victimes, mais imaginaires, d'une dureté de vie accablant réellement des laissés-pour-compte, ce qu'on appelle le quart-monde, leur démarche relèverait plus d'une forme de comédie que d'une louable authenticité. Eux, ils sortiraient de l'enfer quand d'autres y demeureraient !
On ne joue pas avec la misère, on ne joue pas la misère, même pour se donner bonne conscience et se persuader que cette fois, ça y est, on a enfin toutes les données en main pour savoir, constater, réagir et proposer.
À mon avis, ce serait l'inverse. Ce stage pauvreté - d'ailleurs, cette détresse appelle-t-elle des stagiaires ? - ne sera qu'une manière, s'il est validé, de se tenir quitte d'une véritable compréhension et solidarité à l'égard de ces citoyens en détresse et en dénuement qui n'attendent pas qu'on se penche concrètement sur eux. Mais qu'on réforme un système social et économique abandonnant sur le bord du chemin, à cause de destins brisés et de chutes perçues comme inéluctables, tant de gens.
On ne visite pas la misère, on tente de l'éradiquer. On ne l'observe pas, on la combat. J'espère moi-même ne pas tomber dans la démagogie en soutenant que, plus qu'un inutile et complaisant stage pauvreté, les idées de la majorité pour taxer les riches ou amplifier la consommation des plus modestes pourraient offrir des pistes plus fiables à la fois pour favoriser l'égalité et donc lutter contre la pauvreté.
Il faut arrêter ces généreuses élucubrations, en définitive très confortables pour les politiques : elles leur épargnent l'action et la détermination.
Qui peut être assez ignorant du pays où il vit, de la France qu'il parcourt pour avoir besoin d'une exploration de la misère ? Qui peut en toute bonne foi - je rejoins le député Bruno Bonnell sur ce plan - prétendre qu'un stage pauvreté lui est nécessaire pour accomplir sa tâche de député ? Même si j'admets qu'il y a des disparités chez les uns et les autres : un François Ruffin, a priori, me semble plus et mieux informé sur la France sinistrée que, par exemple, un Benjamin Griveaux !
Ce reproche de déconnexion fait à la plupart de nos politiques est d'ailleurs absurde. Qu'il émane des gilets jaunes ou d'autres catégories de la République. Le problème, pour les députés, n'est pas de connaître la réalité - ils la connaissent - mais d'avoir les moyens et la volonté de la transformer.
J'éprouve la plus vive admiration pour les services ponctuels de secours et d'assistance, pour ces auxiliaires d'un soir, pour ces bons samaritains à l'inlassable dévouement. Je ne serais pas capable d'en être. Mais ils ne font pas de politique.
On attend des députés qu'ils fassent non pas un stage pauvreté mais un stage permanent efficacité et audace. Ce qui devrait être la grandeur et l'honneur de leur mission.
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