On est bien d’accord : on est foutu, on mange trop. Déjà, en 1978, le regretté Carlos et Alain Souchon le chantaient dans « Papa Mambo », ce chef-d’œuvre de la variété française. Du reste, nous ne résistons pas à la gourmandise d’en donner quelques extraits : « Nous voilà jolis, nous voilà beaux/Tout empâtés, patauds, par les pâtés les gâteaux/Nous voilà beaux, nous voilà jolis/Ankylosés, soumis, sous les kilos des calories… »

Prophétique, le Carlos, puisqu’on vient d’apprendre que si tous les Terriens, non pas voulaient se donner la main, mais vivaient comme les Français, il faudrait 2,7 planètes. La France serait devenue un pays de Carlos. On imagine, tout de même, que c’est une moyenne et qu’on ne va pas en profiter pour donner mauvaise conscience à tous ces salauds de pauvres qui mal bouffent. Cela dit, si on applique à la nutrition le principe d’Alphonse Allais pour les impôts (« Il faut prendre l’argent là où il se trouve : chez les pauvres. D’accord, ils n’en ont pas beaucoup mais ils sont si nombreux »), il n’y a pas de raison qu’ils y échappent longtemps.

En attendant de demander aux pauvres de percer un trou supplémentaire à leur ceinture, une maîtresse de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lille vient de donner à Libération une interview dans laquelle elle défend « l’idée d’imposer le rationnement pour organiser le partage et protéger les plus fragiles ». Les gars, va falloir arrêter de demander du rabe de frites à la cantine ! Mathilde Szuba est le nom de cette enseignante-chercheuse. « Rationner, cela veut dire empêcher certains de surconsommer pour s’assurer que tout le monde puisse avoir un minimum », a-t-elle trouvé toute seule, comme une grande. Notre trouveuse évoque Cuba, qui connaît « un rationnement depuis les années 60 » (en clair, pour ceux qui n’auraient pas suivi : depuis l’arrivée de Castro). Tu m’étonnes ! Cuba ? C’est pas le pays de la langouste, une cousine éloignée du homard ? Mais l’interview n’avait pas vocation à faire un détour par l’Assemblée nationale… Donc, à Cuba, y font quoi ? « Le sucre, le riz, les haricots et la viande peuvent s’acheter dans un magasin d’État avec un carnet qui donne droit à quelques kilos de ces produits à tarif subventionné ». La Mathilde ne précise pas si la queue devant le magasin est en option. « Pour en acheter plus, il faut aller sur le marché libre, où ce sera plus cher. Ce système permet de s’assurer que chacun a accès à un minimum de produits de base à des tarifs accessibles. » Ouf, on avait peur que les riches ne puissent plus manger de homard à la Saint-Valentin.

Bien sûr, Mme Szuba, par ailleurs membre de l’Institut Momentum, « laboratoire d’idées français [« C’est français », comme disait Adolfo Ramirez dans Papy fait de la Résistance] consacré aux enjeux de l’Anthropocène », est consciente que « dans la mémoire collective française, les histoires de rationnement les plus vives remontent à la Seconde Guerre mondiale ». Peut-être a-t-elle vu ou lu quelques ouvrages de référence sur le sujet. On ne saurait trop lui recommander, si elle ne se prend pas trop au sérieux, de voir ou revoir, justement, Papy fait de la Résistance. Bien évidemment, La Traversée de Paris, où elle découvrira que l’on peut tuer le cochon au fond d’une cave. Ou encore incontournable, l’œuvre de Jean Dutourd, Au bon beurre, adapté à la télévision, avec, dans le rôle des époux Poissonard, crémiers de leur état, le - lui aussi - regretté Roger Hanin et Andréa Ferréol. Crémiers qui réussissent à construire une fortune colossale sur… le rationnement. Après quatre ans de marché noir, les Poissonard, eux, ne furent pas tondus à la Libération.

Pour terminer, méditons avec Mathilde Szuba cette belle sentence de Mme Poissonard : « Le Français, y s'est régalé pendant 20 ans. Eh bien, c'est le moment de passer à la caisse. »

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01 août 2019 à 17:21

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