Un rond de serviette chez le Diable

Durant le mois d'août, Christian Combaz fait l'honneur à Boulevard Voltaire de publier des extraits de son très dérangeant "livre annulé".

Pourquoi suis-je entré dans l'intimité de ces gens-là ? Je n'ai rien choisi, d abord j'étais assez en vogue comme jeune écrivain, ensuite le hasard m'a placé à la croisée des chemins qui mènent à Rome sans jamais m'y conduire.

J'interrogeais des vedettes pour le premier journal français. Enfin mon statut de jeune homme cravaté bâti comme un chevreuil m'a valu quelque intérêt d'une autre nature dont il n'est pas question ici, mais qu'on retrouve, abondamment, dans ma littérature.

S'il faut évoquer ce qu'on n'y trouve pas, ce sont ces scènes qui témoignent d'un basculement général, par exemple le jour où la rédaction du Figaro m'a envoyé dans un studio d'Europe 1 pour assister à l'annonce officielle de la candidature de Coluche à la présidence de la République. Il y avait là tous les traîne-savates de la profession, mais surtout un bon quart d'espions dépêchés par les partis politiques qui commençaient à deviner que nous avions changé d'époque. La France du Splendid, dont Coluche était un familier depuis le début, donnait le ton dans tous les domaines et transformait une popularité de chansonnier en force d'insurrection. Michel Colucci, type assez aimable, mais débordé, spécialisé dans les histoires de Belges, utilisait des méthodes de putschiste pour retenir l'attention, et l'on comprenait vite que le prochain Président serait obligé de fédérer cette démagogie insurrectionnelle pour devenir l'otage du peuple, ce qu'il a très bien fait.

Le journal m'envoya subir les assiduités d'un certain José Artur, qui recevait tout le monde tous les soirs à la radio nationale, au sommet de la tour de l'ORTF, et qui aimait contrôler ceux qui aspiraient à la renommée. Lié à tous ceux qui faisaient l'événement à Paris dans le luxe, la haute couture, l'argent-roi, futur actionnaire du Fouquet's où il présentait une émission de service public, il recevait aussi les guérilleros, comme ce soir ridicule où un chanteur glapissant, mais encore inconnu, nommé Lavilliers (désormais septuagénaire, riche, couvert d'honneurs et de tatouages) est venu psalmodier un poème révolutionnaire à la gloire des maquis colombiens, le poing levé au micro, tout en regardant d'un œil son interlocuteur et de l'autre le photographe qu'il avait amené.

Si je parle de cet Artur que j'ai suivi pendant six mois, c'est que j'ai vu vivre autour de lui le milieu le plus signifiant de la France de l'époque et que cela se passait souvent aux États-Unis, ce qui est assez normal puisque l'irruption du laisser-faire laisser-aller des années Mitterrand est d'abord l'expression d'une mise en conformité de la société française avec son modèle libéral américain.

La radio nationale française, France Inter, ne cessait d'aller planter ses micros à New York pour réaliser des directs aux frais du contribuable. Frais dans lesquels était inclus le billet d'avion des dix chroniqueurs de la presse écrite dont je faisais partie, et dont on avait toujours besoin pour assurer la publicité de ses opérations. Il est bon d'insister sur le rôle d'agents d'opinion pro-américains qu'auront joué ces gens-là - Pierre Bouteiller, Yves Mourousi, Claude Villers - aux frais de leurs auditeurs pendant vingt ou trente ans. [...]

Cette fascination pour l'Amérique est d'autant plus déraisonnable que la plupart des Français qui ont vécu là-bas, et j'en ai fait partie dix ans plus tard, savent le mépris dont la gentry parfumée de Los Angeles nous accablait en privé. Et notamment le financier Kerkorian, qui a réussi le prodige de racheter au rabais à ces « crétins de Français » des studios qu'il leur avait vendus cinq fois plus cher dix ans plus tôt.

Que faisais-je donc, encore, dans le circuit hostile de la gauche culturelle française ? J'essayais de surnager malgré une image de droite parce que mon pain en dépendait. La phrase que j'entendais le plus souvent était : « Dommage qu'avec le talent que vous avez, vous soyez encore de droite. » Pour résumer l'époque, c'est le temps où les amis les plus cupides de François Mitterrand se mélangeaient au monde américain pour devenir agents de l'empire à Paris dans un esprit libéral-mondialiste qui a permis l'expansion de McDonald's et des studios Disney, puis de Canal+, du groupe Vivendi, etc.

On observera que la plupart des personnages influents de la presse française sont d'anciens correspondants aux États-Unis, ou des gens outrageusement fascinés par nos suzerains atlantiques : Sallebert, Mourousi, Giesbert à moitié américain, tout comme Roberts, d'ailleurs, Christine Ockrent, qui a toujours affiché sa fierté d'avoir fait des stages dans la presse à Washington, plus tard Anne Sinclair qui avait le même profil, mais aussi Nicolas Sarkozy dont l'ex-belle-mère a épousé un haut personnage de l'administration américaine, qui a passé des étés entiers chez ses demi-frères à Washington, et dont la politique outrageusement favorable à l'OTAN s'explique par conséquent très bien. Il a d'ailleurs tenu à « remercier nos amis américains » dès le premier discours de son triomphe à la Concorde, et dès les cinq premières minutes, hâte que personne n'a relevée.

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