Quand L’Humanité parlait d’« anti-France »
Depuis que Prisca Thévenot a parlé de LFI comme de « l’anti-France » sur Sud Radio, il est reproché à la porte-parole du gouvernement démissionnaire d’avoir repris un terme salement connoté. Le député Antoine Léaument y voit « le vocabulaire de Vichy ». Un « journaliste indépendant » explique que c’est « un terme antisémite utilisé par l’extrême-droite depuis l’affaire Dreyfus. » Un autre, « un néologisme politique forgé à la fin du XIXe par l’extrême-droite », etc. Qu’en est-il?
Dès 1835, on trouve l’expression dans le journal conservateur La France où elle désigne le parti révolutionnaire et républicain. Mais en 1880, un publiciste la reprend à son compte pour parler de Louis XI qui a démoli « l’anti-France de Charles le Téméraire »… L’expression serait-elle plus complexe qu’on ne voudrait nous le faire croire? À l’époque de l’Affaire Dreyfus (1894-1906), elle désigne non tant les Juifs que le parti de l’étranger et un supposé entrisme germanique, et elle reste rare (ici dans La Souveraineté nationale, là dans Le Gaulois).
« L’anti-France du probochisme » (Léon Daudet)
Elle devient courante dans les années 1910, en particulier dans L’Action française qui en attribue la paternité à Léon Daudet - ce qui est donc erroné. Tantôt Daudet y voit un effet des institutions républicaines qui ne peuvent que « secréter de l’Anti-France », tantôt la germanophilie: « l’anti-France du probochisme ». D’autres journaux l’utilisent, comme nos confrères de La Croix : « Une louche anti-France » oeuvre à saboter la France en guerre (1916).
Les décennies suivantes, la portée antisémite des termes « anti-France » n’est qu’occasionnelle. Si le Journal du Cher parle des « grandes manœuvres judéo-maçonniques de l’Anti-France » (1925), bientôt le terme désignera ceux qui pactisent avec l’étranger, quel qu’ils soient. « M. Blum est toujours de l’anti-France et c’est ce qui explique la variété de ses sympathies qui le portent à défendre tantôt le fascisme de M. Mussolini, tantôt le capitalisme de M. Hoover, tantôt le nationalisme de M. von Papen », écrit Le Courrier de Saône-et-Loire en 1932. Le même, trois ans plus tard, dénonce « l’action de l’anti-France au nom des intérêts germano-soviétiques ».
L’Humanité s’approprie l'expression
Loin d’être l’expression spécialisée qu’on prétend, la notion d’« anti-France » est assez souple pour être utilisée dans L’Humanité dans les années trente - et sous la plume de Gabriel Péri, s’il vous plaît - pour caractériser « la politique de l’étranger fasciste » et « la camelote hitlérienne colportée par les prétendus nationaux » (1936); de même l'année suivante, il parle de « la clique des agents d’Hitler - l’anti-France ». À cette date, la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA), peu susceptible de maurrassisme, l’affirme: « le racisme, c’est l’Anti-France ».
Les mots appartiennent désormais à tout le spectre politique. Sous l’Occupation, le Maréchal ne se prive pas de les employer, mais les opposants à sa politique de collaboration le font aussi. La France nouvelle parle de « “l’anti-France” de Laval » (1943), le journal Combat des « ordres de Pétain et du gouvernement de l’anti-France » (1944). Avec la Libération et l’Épuration, « l’anti-France » devient une façon banale de désigner les collabos (Les Lettres françaises, 1947), voire, pour L’Humanité… Le Figaro lui-même (1950) en titrant : «Boycottons la presse de l'anti-France ».
Dans les années cinquante, seul Rivarol à droite utilise l’expression (le journal regrette l’« impunité de l’anti-France »), tandis qu’à gauche elle est un synonyme de fascisme. « Le colonialisme c’est l’anti-France », clame La France Nouvelle. Le communiste Francis Crémieux décrit « la néo-collaboration des hitlériens allemands et des idéologues français de la réaction » comme « l’anti-France ». Il serait sans doute vain de demander à Prisca Thévenot si elle faisait référence à Daudet ou à Péri, et elle n’a pas répondu à nos demandes d'éclaircissement. L’anti-France, de fait, c’est l’ennemi politique et guère autre chose. Traiter l’expression comme d’« extrême droite » relève de la fake news.
Pour ne rien rater
Les plus lus du jour
Un vert manteau de mosquées
14 commentaires
L’Humanité était le journal symbole du Parti Communiste Français, ainsi que de l’Internationale Marxiste, Stalinienne et Léniniste ! Qu’ils soient Anti France ca ne me surprend pas ! Hervé de Néoules !
Il est toujours hasardeux de se référer à l’histoire quand on fait tout pour que chacun la méconnaisse et même les journalistes censés la connaître en sont les victimes, trop souvent volontaires.
A vrai dire, ces querelles de sémantique n’interessent que très modérément le citoyen lambda
Très intéressant, mais quoi qu’il en soit, on est bien obligé de constater que bien des personnes – bien placées mais aussi quelconques – agissent contre la France, contre son histoire et ses bâtiments et bien sûr contre sa religion traditionnelle, le catholicisme.
Mais, monsieur le député Antoine Léaument, le gouvernement de Vichy, avec le maréchal Pétain à sa tête, était un gouvernement clairement de gauche, composé essentiellement de gens issus de partis de gauche.
Il collaborait avec les envahisseurs d’extrême gauche, fascistes et nazis (c’est un fait historique, pas une opinion).
Le problème est que la gauche dans sa totalité , quelques soit le pays , refuse les paternités du fascisme et du Nazisme , les rejetant sur l’hypothétique extrême droite .
Pourtant c’est belle et bien cette réalité que l’on falsifie depuis la fin de la guerre.
Leaumont un spécialiste de la falsification historique qui affirme que les vichystes c est l extrême droite sauf qui la réalité historique est tout autre les principaux dirigeants vichystes collaborateurs petainistes de l époque s appelaient Laval Doriot ou Deat ils étaient de gauche comme Mussolini le créateur du fascisme
Ça rappelle le regretté Pierre Desproges : « L’ennemi il est est bête : il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui ! »…
Mais bon sang , mais c’est bien sûr !
Samuel Martin : Bravo pour cette recherche historique, surtout que ce concept d' »Anti-France », revêt aujourd’hui un enjeu politique et intellectuel nouveau. Historien, permettez-moi de relever un défi. Un numéro de l’Humanité du Lundi 22 juin 1936 sur les sites de GALLICA et de Retronews, n’est reproduit que dans sa p. 6 (sportive), non dans son ensemble. De même pour le n° du Mardi 23 juin 1936 du journal de la SFIO, « Le Populaire ». Ces deux numéros critiquaient Pétain dans son discours du dimanche 21 de commémoration du 20e anniversaire de la Bataille de Verdun. Pourquoi ces deux numéros ont-ils disparu des collections concernant précisément l’ »Anti-France », vue de l’époque ? Pourriez-vous les retrouver ? Merci, avec espoir.
Je me désigne comme pro-France mais anti-Républicain. Ce n’est pas la même chose, la République n’a fait que des massacres et reste pour moi un nid de gauchistes de fainéants et d’escrocs.
S’il est nécessaire de nommer les anti-France, il est indispensable de recenser les pro-France, ou même qu’ils s’autodéfinissent eux-mêmes. On verra si les macronistes diront d’eux qu’ils sont pro-France.
Nous avons une porte parole d’un gouvernement « démissionnaire » qui critique le parti LFI qui a permis à Renaissance de pouvoir encore exister. De grâce, au lieu de vouloir faire du vent, vous feriez mieux de partir.
Ah ! Les petites phrases assassines, les bons (ou moins bons) mots qui font le buzz ! Et toujours la même presse, arbitre des élégances, qui en fait ses choux gras pendant des jours. Et en pendant ce temps là, les cocus, pardon, les français comptent les points ou ce qu’il leur reste pour la fin du mois !