En privilégiant les « neurosciences », Jean-Michel Blanquer énerve les syndicats

Le ministre de l’Éducation nationale est populaire et ses projets de réforme sont bien perçus par l’opinion. Cela n’est pas étonnant car, selon tous les sondages effectués depuis trente ans, les Français privilégient les anciennes méthodes d’enseignement et rejettent les nouvelles. Les tenants du « pédagogisme » ricanaient devant les avis de ces « ploucs » et les ignoraient. Aussi, Mme Belkacem (comme ses prédécesseurs) était fondée à penser que sa politique était la bonne, car tout le monde autour d’elle la soutenait, notamment les syndicats de « gauche » qui recueillaient 80 % des voix des enseignants.

Pourtant, ces derniers étaient dans leur grande majorité violemment hostiles au « pédagogisme », mais ils votaient pour le SE, le SNI, la CFDT ou pour SUD Éducation, par conformisme, par confort intellectuel ou par refus d’apporter son suffrage à des organisations « dissidentes » comme le SNALC, perçu (à tort) comme d’extrême droite.

De même, les directions des organisations de parents d’élèves (mais pas leurs adhérents, loin de là) étaient sur la même longueur d’onde. Les inspecteurs généraux et régionaux, choisis par cooptation, étaient également de chauds partisans des méthodes nouvelles. Quelques opportunistes ont même, pour entrer dans ces corps prestigieux, changé d’avis un an ou deux et adhéré aux théories bien-pensantes afin d’améliorer leurs chances d’être désignés. Enfin, tous les comités (pour les programmes ou autres) étaient aux mains des « pédagogiques ». Mme Belkacem était, du coup, persuadée de détenir LA vérité unique et incontournable.

M. Blanquer a eu l’immense habileté d’utiliser un biais pour justifier le virage à 180 degrés qu’il compte imprimer à l’Éducation nationale. Au lieu d’annoncer un retour aux méthodes anciennes (ce qui aurait donné des armes à ses adversaires, car ils l’auraient traité de réactionnaire borné), il prétend s’appuyer sur les neurosciences (Le Monde, Libération, Europe 1). Or, les conclusions de celles-ci sont le plus souvent hostiles aux pratiques « pédagogiques ». Par exemple en lecture, elles recommandent d’abandonner les méthodes globale et mixte pour revenir au b.a.-ba et au déchiffrage (comme en 1950). Du coup, les syndicats et les organisations « pédagogiques » progressistes sont embarrassés (qui peut s’opposer à la science ?). Ils s’en sont réduits à suggérer de ne pas oublier les études et les expérimentations « sociales » (les seules qu’on utilisait jusqu’à présent), mais leurs communiqués manquent de conviction et ressemblent à un baroud d’honneur.

Et si M. Blanquer allait jusqu’au bout de sa logique et faisait une réforme symbolique (mais signifiante, comme on dit dans le jargon « pédagogiste ») ? Pourquoi ne changerait-il pas l’intitulé de son ministère et n’abandonnerait-il « Éducation nationale » pour « Instruction publique » comme avant 1932 ? Les communistes, les nazis et autres totalitaires éduquent les jeunes pour leur inculquer leurs « valeurs », mais les démocraties devraient se contenter de transmettre un savoir.

Christian de Moliner
Christian de Moliner
Professeur agrégé et écrivain

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