On l’a compris, Hapsatou Sy a été profondément blessée par les propos d’Éric Zemmour à l’endroit de son prénom. Elle en a témoigné, très digne mais très secouée, sur le plateau d’une Laurence Ferrari emplie de compassion, la remerciant d’avoir "choisi [son émission] pour parler, pour la première fois en direct, après le violent accrochage,, la priant, en l’appelant telle une fillette par son prénom (ce fameux prénom), de dire aux téléspectateurs "comment elle allait aujourd'hui et si elle était toujours choquée", bref, s’enquérant de sa santé et des séquelles de son abominable épreuve, comme si Hapsatou Sy était Florence Aubenas ou Íngrid Betancourt de retour de captivité. La prochaine fois, essayons de ne pas trop en faire quand même, ça finit par nuire à la démonstration.

Il est d’autres jeunes femmes, en revanche, dont il est convenu qu’elles ont la couenne dure, qu’elles peuvent encaisser tous les coups, dont on se fout bien de savoir si elles sont éventuellement sensibles ou vulnérables, parce que du fait de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pensent, elles font partie d’une catégorie de population que l’on pourrait appeler « punching-ball ». Il ne faut pas se gêner, il n’y aura aucune plainte, aucune pétition, aucune invitation lancée dans les médias pour aller raconter par le menu, en se tapotant les paupières et en réclamant réparation, leur calvaire.

L’une d’entre elles est bien connue des lecteurs de Boulevard Voltaire : elle s’appelle Charlotte d’Ornellas. Talentueuse, bretteuse hors pair, elle est fréquemment invitée - seule contre tous, souvent - sur les plateaux télévisés. justement, elle était là, avec Laurence Ferrari et Hapsatou Sy. Au cours de cette émission, et dans le prolongement du sujet, il a été question d’immigration, et Charlotte d’Ornellas a évoqué « l’africanisation » du quartier de Château Rouge à Paris.

Il faut croire que cela n'a pas plu à Rokhaya Diallo. Celle-ci a soudain vu de la même couleur que ledit Château et l’a fait savoir sur Twitter.

Sous une capture d’écran montrant Charlotte d’Ornellas, un rappeur nommé "Jok'air" éructe : "C’est qui, cette P… ?"

Rokhaya Diallo lui répond aussi sec en faisant de l’humour : ah non, "faut respecter les P… qui gagnent leur argent honnêtement :)". Et pour ceux qui n’auraient pas bien compris, elle explique dans un autre tweet : « […] P… n’est pas une insulte mais un métier. Et elles ne méritent pas d’être comparées à cette journaliste."

Un avocat lui fait obligeamment remarquer que "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. L’injure envers les particuliers sera punie d’une amende de 12.000 euros." Rokhaya Diallo de répondre, sûre de son impunité, par un smiley qui s’étrangle de rire, accompagné de quelques mots : "Bon courage pour la plainte." Elle ne l’a pas traitée de P…. Non. Mais de moins que P… Qui pourrait y trouver à redire ?

Rappelons que Rokhaya Diallo n’est pas un troll anonyme sévissant sur les réseaux sociaux, mais une journaliste, passée par de nombreuses rédactions, et actuellement - c’est marqué sur son compte Twitter - sur RTL et LCI.

Je suis songeuse, je me perds en conjectures, je me gratte le menton, j’essaie de me projeter… mais si une remarque sur un prénom a suscité une telle déflagration dans le paysage médiatique français, que se serait-il donc passé si - pure science-fiction - Éric Zemmour avait susurré les mêmes délicates gentillesses sur Hapsatou Sy que Rokhaya Diallo sur Charlotte d’Ornellas ?

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24 septembre 2018 à 18:57

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