Philippe Bilger : « Les gilets jaunes sont, pour le gouvernement, une occasion de montrer sa fermeté »

Le gouvernement, par la voix de Christophe Castaner, a tenu un discours d’une grande fermeté face aux gilets jaunes.

Au micro de Boulevard Voltaire, Philippe Bilger dénonce le "deux poids deux mesures" d'un pouvoir, ferme d'un côté et "pudique" face à la délinquance et la criminalité ordinaires qui touchent l'ensemble des citoyens.

Depuis quelques jours, Christophe Castaner et le gouvernement font état d’un langage très ferme en matière de tolérance au débordement puisque les gilets jaunes font l’objet d’une surveillance particulière. On est frappé de voir un tel gouvernement formuler autant de propositions fermes à l’encontre des agitateurs publics...

Il faut être clair. Vous savez à quel point je dénonce et déteste toutes les violences d’où qu’elles viennent et notamment celles qui sont exercées de plus en plus à l’encontre de la police et de la gendarmerie. Quand j’entends Christophe Castaner dire «il faut respecter la loi » au sujet des tensions liées aux gilets jaunes, quand j’entends le président de la République dire à propos de la Réunion « nous serons durs et impitoyables », immédiatement je ne peux qu’approuver un tel langage de fermeté et de vigueur.
Ce que je reproche à ces deux gouvernants et plus généralement au pouvoir actuel, c’est d’avoir clairement dans la tête, deux poids deux mesures. Il faut respecter la loi et être impitoyable. Je ne l’entends pas beaucoup lorsqu’il s’agit de la délinquance et de la criminalité ordinaires qui touchent le commun des citoyens et qui me semblent, de loin, aussi grave au quotidien que le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie contre lesquels en permanence on a des discours légitimement d’hostilité. C’est cela qui me gêne dans notre État de droit. Très clairement, dans la comparaison avec les gilets jaunes, on découvre un gouvernement qui est prêt à en découdre et parfois tout à fait normalement parce que les gilets jaunes ne sont pas des saints et peuvent s’abandonner à des violences. Mais j’aimerais qu’en permanence l’état d’esprit soit celui qui est formulé, avec une forme d’injonction volontariste et banale d’une certaine manière, tel que vous venez de le rappeler.


Lorsqu’on regarde la litanie des faits divers qui émaillent le quotidien, on a du mal à connecter cette fermeté d’un côté et cette apparence de laxisme de l’autre.

J’ai l’impression et je le dis avec prudence que ce qui appelle explicitement un discours de fermeté et de rigueur de ce pouvoir, sont les manifestations de tensions politiques et sociales avec des mouvements qu’ils ne parviennent plus à appréhender, parce qu'ils cheminent sur des sentiers totalement inédits.
Face à la délinquance et la criminalité ordinaires qui devraient les préoccuper tout autant voire plus, il y a une forme de pudeur, de décence qui conduisent le pouvoir à se taire comme s’il était évident d’être contre ces délits et ces crimes. Le citoyen veut entendre le pouvoir dénoncer fermement ce qui le touche au fil des jours, quotidiennement, dans sa tranquillité et sa sûreté. Apparemment, cela intéresse moins.


On a l’impression que l’État est davantage ferme au sujet des enjeux politiques que de la sécurité du quotidien.

Sur le plan politique, on pourrait le discuter et retrouver deux poids deux mesures. Je me souviens de la manifestation du 1er mai où il était évident que des trublions Black Block allaient intervenir. Je ne suis pas sûr que l’État sécuritaire, je n’aime pas ce terme, mais je l’utilise pour aller vite, ait mis tout en œuvre pour éviter les débordements. Même au niveau de ce que j’appellerais la violence largement politique et sociale, je crois que ce pouvoir-là choisit ses cibles, et il est clair que les gilets jaunes sont une opportunité pour lui de montrer sa fermeté parce que précisément il comprend difficilement la nature tout à fait singulière de ce mouvement.

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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