Morts vivants

Les promoteurs de la présente proposition de loi prétendent placer l’autonomie de l’individu au-dessus de la protection due aux plus faibles. Quel sens si cette loi permettant le suicide assisté par la bienveillance de l’État, l’euthanasie active, quel sens prendraient les efforts de nos concitoyens depuis plus d’une année ? Quel sens prendraient les luttes contre le harcèlement scolaire, les programmes de lutte contre le suicide ou ceux visant à réguler l’excès de consommation de neuroleptiques par nos concitoyens ?

La première erreur est de penser que la continuité de consentement d’un individu pourrait aller jusqu’à permettre à un tiers de lui donner la mort activement ; si les soins palliatifs permettent de prendre en charge la souffrance et la douleur, d’ores et déjà, partout, même là où les services sont trop petits pour qu’une section autonome de soins palliatifs existe - si la loi actuelle permet de s’abstenir de soins jugés déraisonnables si un patient en a fait la demande, il ne faut pas nier la possibilité de changer d’avis, qu’un état différent causé par une maladie puisse entraîner une volonté différente (dépression passagère), une dynamique nouvelle ou que des traitements révolutionnent un pronostic. Certaines époques, la découverte de maladies foudroyantes semble nous confronter au mur de la fatalité. Un exemple récent : nous sommes en 1996, l’épidémie de VIH condamne à une mort sociale et à une mort des corps. L’arrivée des antiprotéases et des trithérapies a ramené à la vie des milliers de malades tant est qu’ils ont pu et qu’ils ont dû faire le deuil de leur propre mort, parce qu’aucune loi n’avait armé le bras de leur désespoir.

La deuxième erreur (un peu récurrente) est de s’attaquer aux plus faibles. Le gouvernement et l’idéologie dominante se construisent des faibles sur mesure, à la mesure de la charge émotionnelle qu’ils peuvent engendrer, des opprimés parfaits, infaillibles, inattaquables et pour lesquels la République devrait se blâmer, des modèles de victimes dont nous serions tous responsables, des malheureux ad hoc pour faire culpabiliser, pour faire payer et pour faire taire. Les vrais faibles n’auront droit à aucune compassion, la seule charité de la République sera de leur rappeler qu’ils sont diminués, qu’ils n’ont pas d’excuse, qu’ils sont malades, qu’ils sont inutiles, que leur vie ne vaut probablement plus d’être vécue, qu’ils devraient penser à la mort, que leur pays est là pour écourter leur supplice et qu’ils peuvent se racheter. Ils ne leur diront pas qu’il y a des causes qui valent le coup et qu’ils peuvent crever, car la leur ne vaut pas un clou. Ils ne diront pas que, sans intersection avec les luttes officielles, leurs souffrances, leurs handicaps et leur vieillesse sont des impasses et que personne ne mettra un genou à terre pour leur dernier souffle. Ils ne leur diront pas que ce gouvernement est faible avec les forts et fort avec les faibles...

Marie, Jean, Monique, Michel, Jacqueline, André, Jeannine, Pierre, Yvette, Claude, Denise, Jacques, Jeanne, René, Christiane, Roger, Paulette, Robert, Nicole, Bernard : vous avez de grandes chances de vous appeler comme ça si vous avez entre 75 et 85 ans, vous avez construit et reconstruit notre pays, vous vivez peut être en EHPAD et vous êtes peut-être suivis pour une ou plusieurs pathologies. Certains d’entre vous souffrent, de la solitude et de la maladie parfois aussi. Notre devoir est de vous aider et de vous accompagner toujours. N’écoutez pas ceux qui vous diront que le terme de vos projets est trop court, que vos facultés sont diminuées, que vous n’êtes plus assez performants. Aucune vie ne vaut plus qu’une autre et le prix de la vôtre est inestimable.

Les rites funéraires sont attestés dès la préhistoire, il y a plus de 100.000 ans, et dans toutes les cultures humaines, la mort est une transgression qui structure les sociétés. Ses monuments et ses cérémonies sculptent le temps et l’espace où nous vivons. Après avoir « géré » la crise du Covid-19, le gouvernement entend procéder à un changement anthropologique majeur et soudain en faisant de la mort une modalité d’organisation de la vie. Si la mort comme projet politique est plutôt un argument pour embaucher des kamikazes ou des djihadistes, vouloir normaliser la mort procède surtout de la volonté de toute-puissance des transhumanistes et des GAFA qui prétendent, un jour, arriver à « tuer » la mort. L’autre point qui rapproche cette proposition de loi de ces extrêmes, c’est la passion du contrôle qui l’anime et la tentation totalitaire. D’une naissance après une PMA qui garantira que vous êtes conforme, vous serez suivi, surveillé jusqu’à votre dernier souffle qui aura été organisé par cette assemblée.

Dans la souffrance et dans l’adversité, la mort relie les hommes. Dans ce projet qui s’attaque aux plus faibles, c’est notre humanité même qui est questionnée. Cette violence dirigée contre nos citoyens les plus faibles, cette immodestie envers la mort elle-même et cette volonté de contrôle exacerbée traduisent sûrement une perte de vos repères. Si, pour Auguste Comte, les morts gouvernaient les vivants, aujourd’hui, les morts vivants sont en passe de gouverner les morts vivants.

Joachim Son-Forget, MD-PhD, député, médecin radiologue et neuroscientifique

Pierre Durand, MD, MSc, médecin radiologue et entrepreneur

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