Marion Maréchal : « Il faut peut-être se défaire de l’idée de l’homme providentiel »
Marion Maréchal répond aux questions de Boulevard Voltaire sur le centre d'analyse et de prospective que lance l'ISSEP (Institut de sciences sociales, économiques et politiques qu'elle a fondé en 2018), la situation politique et le cap à tenir, la présidentielle de 2022 et l'avenir de la droite.
Vous avez fondé le Centre d’Analyse Prospective. Quel est le but de ce think tank ?
Un laboratoire d’idée comme on dirait en français. L’idée est de développer le pôle recherche de l’ISSEP qui a déjà un pôle formation avec la formation continue et le magistère, de contribuer au débat d’idée public et politique en s’emparant de sujets qui, selon moi, de manière très discrétionnaire, sont peu ou mal exploités. L’originalité de ce laboratoire d’idée viendra moins sur le modèle. On peut retrouver des grands think tank aujourd’hui, que ce soit l’institut Montaigne, l’IFRAP ou autre. Cette originalité viendra plutôt des sujets dont on s’emparera et des contributeurs qui seront associés.
Ce think tank a été lancé notamment parce que vous avez fait le constat que les partis politiques sont un modèle sans doute dépassé. On l’a vu récemment avec la République En Marche qui a perdu ses différents cadres comme si finalement ce parti était une espèce de kit jetable donné à Emmanuel Macron le temps de se faire élire. Maintenant, il ne sert plus à rien…
Je fais un constat que tout le monde voit. On assiste au dépassement des partis politiques, dont Emmanuel Macron était l’un des symptômes et non pas un catalyseur en tant que tel. D’ailleurs, je tiens à dire que je le déplore. Je pense que la démocratie représentative ne peut pas fonctionner sans des partis politiques structurés. On peut reconnaître aux partis politiques des défauts, des vices ou des limites, mais ils sont aussi indispensables au bon jeu démocratique. Évidemment, ils coordonnent, ils organisent, ils permettent l’organisation et la clarification de ce débat intellectuel en les incarnant. Je ne suis donc pas sûre que c’est une très bonne nouvelle, mais c’est un état de fait.
Aujourd’hui, les partis politiques sont en perte de vitesse ; cela tient aussi à la génération. L’esprit militant s’en est allé. On passe d’une jeunesse des années 60, 70, 80, une jeunesse très idéologisée dans le bon ou mauvais sens du terme. On rêvait de communisme, de libéralisme, d’Europe, de Gaulle, qu’importe. Aujourd’hui, on voit que les grandes idéologies sont mortes et les rêves sont difficiles à trouver. Par conséquent, les structures intellectuelles sont difficiles à voir émerger. Sur toutes ces difficultés, il est intéressant d’avoir des structures libres apartisanes telles que le centre d’analyse et de prospective de l’ISSEP. Il émerge et donc compense d’une certaine manière ce manque avec l’avantage de pouvoir associer des personnes, des intellectuels, des spécialistes, des praticiens qui viennent d’horizons très variés et qui ne sont pas enfermés dans une posture doctrinale.
Comment réintéresser les gens à la vie politique et au bien supérieur qui soit autre que l’expression des désirs de ces minorités ?
Je ne vais pas avoir la réponse à moi toute seule avec le CAP de l’ISSEP ou avec l’ISSEP, même si on essaie d’y contribuer. Derrière, il y a d’autres questions qui se posent. À travers le think tank, on peut aussi poser la question des institutions qui est au cœur des débats. On parle beaucoup de proportionnelle aujourd’hui. Je suis plutôt attachée à l’idée d’un mode de scrutin majoritaire à un tour qui m’apparaîtrait plus intéressant que la proportionnelle qui réinstalle la prédominance des partis dans le jeu électoral. On peut être provocateur et dire aujourd’hui : est-ce que la Ve est encore un système adapté ? La Ve République est un système qui n’existe en Europe qu’en France. Aujourd’hui, il n’y a plus de pouvoir tampon entre le Président et le peuple. Le Sénat n’existe pas, l’Assemblée n’existe pas, le gouvernement existe très peu, le Premier ministre existe encore moins. Tout cela fait que le président de la République porte la charge politique, positive ou négative, seul face au peuple. C’est très séduisant symboliquement, c’est l’héritage de la monarchie et de De Gaulle. Je ne nie pas tout cela, mais lorsque vous avez deux chaînes de télévision que vous contrôlez à moitié, cela peut fonctionner. En revanche, à l’heure des réseaux sociaux, nécessairement au bout de six mois d’exercice de pouvoir, cette charge politique est peut-être trop lourde à porter. Contribue-t-elle à la bonne représentation des corps intermédiaires et des territoires ? Je n’en suis pas tout à fait convaincue.
Après les différents bidouillages constitutionnels, on a à la fois un pouvoir exécutif extrêmement fort, peut-être le plus fort qui existe dans les démocraties et en même temps, terriblement impuissant ! On voit l’incapacité à faire se mouvoir ce pays et engager des réformes structurelles.
Vous avez fait le tour des médias cette semaine. Parmi tout ce que vous avez dit, une chose revenait régulièrement. Dès que vous revenez dans les médias, vous actez le « décès » des Républicains.
Cette droite qui s’est fait un peu avaler par Emmanuel Macron a-t-elle encore de l’avenir dans ce pays ? Où la droite aurait-elle de l’avenir ?
Je ne sais pas si je viens acter le décès des Républicains, mais je fais le constat que Christian Estrosi donne un coup de pied dans la fourmilière et accélère un processus de décomposition que tout le monde peut voir depuis des années. Ce qui va manifestement se profiler c’est qu’entre la perspective pour les LR de faire 12 ou 13 % et la perspective de rallier le pouvoir en place et éventuellement sauver des circonscriptions voire obtenir des sous-secrétariats d’État je ne sais où, vous avez malheureusement une partie non négligeable des élus nationaux, sénateurs ou députés qui rejoindront Emmanuel Macron. Reste à savoir comment va s’organiser cette partie restante de LR qui, à mon avis, est non négligeable au niveau local et qui existe aussi en partie au niveau national face à ce phénomène. Cela pourrait peut-être contribuer à un déblocage de ce cordon sanitaire ou en tout cas, faire bouger les lignes. Je n’ai pas la réponse et je ne suis pas LR. Après, vous connaissez ma position depuis longtemps là-dessus. J’aurais aimé depuis longtemps déjà, que la droite sorte de cette espèce de posture morale du cordon sanitaire pour créer des coalitions, au cas par cas, intelligentes, et donc ne plus se retrouver la victime collatérale des majorités d’union de la gauche que l’on voit s’exercer à tous les niveaux.
Ce plafond de verre existe toujours entre le Rassemblement national et les Républicains. Comment faire exploser ce cordon sanitaire dans la mesure où le Rassemblement national, Marine Le Pen et son entourage ne jugent pas nécessaire de faire des coalitions et sortir le Rassemblement national de ce cordon sanitaire ?
Je ne vous cache pas que je marche sur des œufs, car dès que je dis un mot sur le Rassemblement national, j’ai le droit immédiatement à dix articles expliquant que je fais la guerre et que je règle des comptes. Je préfère dire en amont que je ne suis pas là pour faire la guerre au Rassemblement national. Cela ne m’intéresse pas du tout. Et je suis encore moins là pour faire des attaques personnelles ou répondre à des attaques personnelles. Mon propos est uniquement d’ordre politique et stratégique. Cela surprendra d’autant moins que je tenais ces propos déjà quand j’étais député à l’intérieur du Rassemblement national. J’espère faire preuve de cohérence là-dessus.
Une fois de plus, je le dis et je le répète, je considère que le Rassemblement national est indispensable dans le dispositif. Rien ne peut être fait contre lui. Je dis juste qu’il n’est pas suffisant en l’état actuel pour espérer ou s’assurer d’un basculement politique majeur.
Vous allez dire que je pleure sur les pots cassés et je considère qu’il y a eu un moment politique intéressant. C’était le moment où on avait assisté à une fracturation entre Copé et Fillon. À ce moment-là, il y avait un problème de leadership dans cette droite dite parlementaire, et il y avait probablement une opportunité de pouvoir incarner un recours pour cette famille politique là.
Ce problème de leadership était surtout lié au départ de Nicolas Sarkozy davantage que pour des questions idéologiques.
Oui, je suis d’accord. Il y a eu un moment politique un peu comme en Italie lorsque Berlusconi a perdu la main. Le créneau a été pris par la Lega qui est devenu un recours : on remplace cette droite défaillante qui a tout abandonné sur l’identité, sur la souveraineté et sur la défense de notre histoire. À ce moment, il y a eu des divergences de stratégies avec notamment à l’époque, Florian Philippot qui n’est pas dénué de talent par ailleurs, mais qui lui, considérait qu’il fallait plutôt s’adresser à cet électorat mélenchoniste pour caricaturer un peu. Disons, que lui qualifiait de gauche souverainiste. C’était au moment où Mélenchon avait un peu mis le holà sur les questions identitaires et communautaires.
Je n’étais pas tout à fait dans cette idée-là, je considère qu’un parti doit s’adresser à tous les Français, mais que mécaniquement, il y avait plus de passerelles évidentes avec une partie de cet électorat de droite orphelin sur des sujets tout à fait fondamentaux.
Aujourd’hui, on voit bien que l’électorat de Mélenchon se cristallise autour d’une forme d’électorat à la fois communautaire, bobo comme on dit dans les centre-ville. Le chemin est donc plus long. Il est parfaitement inenvisageable de penser que l’on puisse faire une alliance LR-RN dans l’état actuel des choses. De manière ponctuelle et locale, cela aurait été intéressant de travailler à cela. Est-ce encore possible aujourd’hui ? Je ne suis pas sûre que le RN considère qu’il faille plus parler à certains élus de LR qu’à d’autres. C’est leur choix, mais une fois de plus, je ne suis pas dans l’arène. On peut dire que c’est facile pour moi de donner des leçons et ce n’est pas faux !
Pour les différents créneaux de 2022, il y aura a priori un gros centre orléaniste avec Emmanuel Macron ou en tout cas quelqu’un de la macronie. Il y aura peut-être une coalition de gauche et à droite, le Rassemblement national.
Le pire danger serait-il de réélire Emmanuel Macron ou de faire élire une sorte d’ayatollah Vert comme on a pu le voir dans les différentes polémiques juste après les municipales ?
C’est toujours un peu compliqué de se projeter dix-huit mois avant une élection sur les résultats. Je me méfie toujours des gens qui ont beaucoup de certitudes dans un sens ou dans l’autre. Rien n’est jamais écrit. Toutes les élections présidentielles ont démontré que les scénarios pré-écrits à l’avance avaient tous été démentis. Beaucoup de choses viennent perturber le jeu en cours tel qu’il se profile. On peut imaginer une union de la gauche, pourquoi pas autour d’Anne Hidalgo. Mélenchon, lui même n’a pas affirmé qu’il irait à la présidentielle. Chez les LR, c’est aussi très confus parce que certains plaident pour une primaire et on peut donc espérer que Bruno Retailleau puisse émerger. Dans le même temps, Xavier Bertrand a déjà annoncé qu’il ne passerait manifestement pas par la primaire et irait en tout état de cause.
Espérez-vous que Retailleau soit candidat ?
Je trouve que Bruno Retailleau est intéressant. Reste à savoir quelle est sa liberté à l’intérieur du parti, eu égard aux responsabilités qu’il a en tant que président de groupe au Sénat. C’est toujours un peu compliqué. On voit bien que ce sera la confusion. Nicolas Sarkozy est un peu et malgré tout en embuscade. On peut toujours spéculer, mais on voit la scénarisation de la sortie de ses livres et le jeu qu’il continue à jouer à l’intérieur de LR. Il ne sait manifestement pas totalement écarté. Il faut rappeler aussi que le premier tour se joue dans un mouchoir de poche. Souvenons-nous qu’aux dernières élections présidentielles, l’écart était relativement restreint. Entre un François Fillon qui s’était pourtant fait étriller pendant la campagne, Marine Le Pen qui accède au deuxième tour et Mélenchon qui n’est pas si loin derrière. Rien n’est écrit, et rien n’est acquis. Par conséquent, on n’est pas totalement à l’abri de voir émerger une forme d’union de la gauche comprenant les écolos qui double Macron par sa gauche.
Le seul propos que je veux tenir c’est qu’on ne peut pas affirmer que les choses se passeront telles qu’elles doivent s’affirmer.
La gauche fonctionne par coalition et par alliance. Et la droite est marquée par la culture et l’image du chef. Le problème des Républicains est-il le fait que son chef historique et naturel soit toujours et malgré tout Nicolas Sarkozy ?
Probablement que notre héritage culturel et notre inconscient dans la famille de droite au sens large contribuent à vouloir incarner à tout prix dans une personnalité qui serait celle du chef, de l’homme providentiel. Il faut peut-être se défaire de cette idée-là surtout par les temps qui courent. Le plus intéressant est d’élire une équipe avant même d’élire un chef qui aurait toutes les vertus. La première étape est de construire, d’incarner cette équipe et que les Français puissent se projeter dans cette équipe. Il est indéniable qu’on ne peut pas créer des coalitions et faire 50+1, sans associer des gens avec qui on n’a pas toujours partagé tous les combats ou combattu dans les mêmes tranchées. C’est le jeu du pouvoir. Cela ne veut pas dire compromission, mais cela veut dire être capable de rassembler autour d’une vision sur les sujets essentiels. C’est un vrai défi !
La droite étant systématiquement à courir derrière la gauche, à s’excuser des injonctions morales de la gauche, on s’aperçoit qu’il y a encore du chemin à faire, même si petit à petit le réarmement psychologique opère chez une partie d’entre eux.
La polémique Valeurs actuelles-Obono est encore la preuve par deux que la droite est encore soumise culturellement à la gauche…
C’est une des démonstrations qui réagit systématiquement dans l’émotion. C’est la force de la gauche de manière générale. Ils sont dans l’émotion quand la droite aime bien être dans la raison. C’est compliqué de se battre sur le terrain de l’émotion et de réagir sur le terrain de l’émotion. Dieu sait qu’il y avait-là des choses à dire sur les indignations à géométrie variable entre d’un côté la défense sans limites de la liberté de la presse en ce qui concerne Charlie Hebdo et puis, des préventions qui existent lorsqu’il s’agit d’un média de droite. Le fait que le parcours même de madame Obono ne plaide pas en sa faveur n’est pas non plus un concentré de tolérance et de républicanisme.
Le fait que l’on puisse être heurté par une image ne veut pas dire qu’il ne faut pas tolérer dans une démocratie, la caricature, l’humour, l’ironie et le sarcasme. Je suis toujours un peu gênée par ces postures. Peut-être parce que moi-même j’ai été grimée 500.000 fois en fachiste et en nazi sans aucune ironie. Quand vous rentrez dans le jeu politique, vous êtes sur un ring de boxe. Par principe, vous acceptez de prendre des coups et d’en donner. C’est le jeu !
Je suis toujours très mal à l’aise avec ceux qui montent sur le ring et qui donnent sans problème des coups. Quand madame Obono déplore que monsieur Castex soit un blanc quand il est nommé Premier ministre, elle donne indéniablement un coup bien raciste. Puis dès qu’elle risque de prendre un coup, elle dit « vous ne pouvez pas me donner un coup parce que je suis une femme, je suis une minorité racisée comme disent les indigénistes, je suis une minorité sexuelle... » Non seulement c’est déloyal, mais par ailleurs, c’est totalement stérilisant pour le débat public.
Au lieu de pointer ces contradictions, la droite retient ses coups, alors qu’elle en prend toute la journée dans la tête. Je trouve que le réel devrait appeler un peu plus de vigueur et de courage dans les réactions.
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