Marine Le Pen face à BFM TV : le tournant ?

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Suite de l'analyse de l'émission Marine Le Pen face à BFM TV.

On aurait pu imaginer que Bruce Toussaint, poids lourd de BFM TV, tenterait de bousculer un peu plus Marine Le Pen. Rien de tel : c’est courtois, cordial, et même le court passage sur le mot « xénophobie », qu’un micro-trottoir, lui attribue, ne perturbe pas le jeu. Au contraire, elle en profite pour tacler Gérald Darmanin et lui demander comment sont logés les 600.000 clandestins que le ministre est convenu résider sur le territoire français.

S’ensuit un déballage quasiment ininterrompu de l’attirail du Rassemblement national pour traiter les problèmes de délinquance, d’émeutes urbaines, de zones de non-droit, des clandestins islamistes… Bruce Toussaint lève sagement le doigt. À une question micro-trottoir conçue pour la déstabiliser, elle répond que le passant qui l’interpelle a tout à fait raison et poursuit sa démonstration avec efficacité. Marc-Olivier Fogiel (patron de la rédaction de BFM TV) doit s’étouffer en coulisses.

BFM TV = BFMarine TV ?

Même la séquence « intime » déclenchée par Bruce Toussaint en fin d’interview (vous arriverez à deux à l’Élysée ?) provoque son rire et non son ire. « M’enfin, Monsieur Toussaint, quelle question vous me posez là ! »

S’ensuit une improbable séquence d’extraits d’interventions télévisées de Marine Le Pen à 24, 27 ans. On cherche la vacherie sans trouver. On dirait ces diaporamas que l’on diffuse lors des mariages ou des anniversaires. Regard sombre de Bruce Toussaint dans son fauteuil, qui se demande sans doute qui a pu choisir ces extraits, qui la rendent éminemment sympathique.

Maxime Switek, le présentateur, rame en lui reprochant de ne jamais avoir été aux manettes. « Les Français ont tout essayé dans les trente dernières années, la droite, la gauche, quelqu’un qui représente le pire de la droite et le pire de la gauche réunis. Je pense, personnellement, incarner le meilleur de la droite et le meilleur de la gauche. » On n’attendait pas cette punchline, elle va rester.

Faiblesse passagère, pourtant, sur les affaires. Si Marine Le Pen n’a jamais été condamnée, son parti, si, et certains de ses proches. Maxime Switek pense avoir marqué un point, mais sa langue fourche sur la condamnation en première instance de Jean-François Jalkh, : « Deux ans dont six ferme. » Ce four déclenche un magistral cours de droit pénal de Maître Marine Le Pen, qui en profite pour dérouler la longue frise des hommes politiques de gauche et de droite de premier ordre condamnés, ces dernières années.

Arrive Benjamin Duhamel, fils des journalistes Patrice Duhamel et de Nathalie Saint-Cricq qui ont fait carrière dans le service public. On se pince à l’idée que c’est la maman qui débriefe le débat Darmanin-Le Pen sur France 2, et le fiston qui interviewe la même Marine Le Pen, quelques semaines plus tard, sur une autre chaîne. On espère juste que ces trois-là n’ont jamais entonné l’air connu du népotisme, ça ferait désordre.

Quand un fils de interviewe une fille de

Gamin marque des points. Il diffuse des séquences vidéo que Marine Le Pen aurait voulu oublier. Un extrait de son débat du second tour face à Macron où elle mélange les dossiers Alstom et SFR. Un autre du débat face à Darmanin où elle trébuche sur les chiffres des demandes d’asile. « Mais sur Alstom, j’avais raison. » « Sur les demandes d’asile, le ministre a menti. » Des lapsus, donc, pas des erreurs. Compétente pour 34 % des Français d’après un sondage, elle martèle « Qui l’est plus que moi dans les candidats ? » « Beaucoup », répond, vasouillard, le benjamin de l’assemblée. « Qui l’est plus que moi dans les candidats » ? Temps mort. Clap de fin sur les chats. Sciences Po (Benjamin Duhamel était président de Sciences Po TV, en 2017) n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Avant-dernière roue du carrosse en fin d’émission : l’économie. L’euro est sur la table. Hedwige Chevrillon lui reproche d’avoir voulu abandonner la monnaie unique. Marine Le Pen démontre que l’euro de 2017, dont elle voulait sortir, n’a plus rien à voir avec l’euro d’aujourd’hui. « L’Europe s’est assise sur tous les traités qui régentaient l’euro. » Toujours floue sur les dossiers économiques, la candidate du RN a, cette fois, révisé. Hedwige lui colle dans les dents un extrait de sa tribune économique dont tout le monde parle pour la coincer. « Vous avez dit : "Nous sommes dans la dernière ligne droite de la théorie monétaire moderne post-keynésienne". » Clac : Marine déclenche ostensiblement le piège et déroule des propositions. C’est chiant comme de l’économie, mais ça fait sérieux.

La séquence finale revient à Philippe Corbé, le chef du service politique de BFM TV, qui revient sur le débat face à Gérald Darmanin et les accusations de « mollesse ». Perche tendue, perche saisie, Marine Le Pen se justifie et « veu[t] rassurer ». On s’enlise dans le sable malien et des expulsions de sans-papiers, mais les propositions de la patronne du RN fusent, quasiment sans obstacles, Philippe Corbé hésite à l’interrompre.

L’émission touche à sa fin et l’on peut se faire un avis sur l’ensemble de la prestation.

Marine Le Pen : plutôt européen que siamois ou angora

D’abord, du point de vue du spectateur, disons les choses telles qu’elles sont : « Face à BFM », c’est propre, mais c’est un peu chiant. Les journalistes manquent-ils de mordant, ou bien n’ont-ils plus de quoi mordre Marine Le Pen vraiment ? Aucune séquence, aucune question ne la met réellement en difficulté. Au pire, elle fait une pirouette, comme un chat qui retombe sur ses pattes.

Ensuite, Marine Le Pen, justement. Dans le rôle du chat, justement, elle excelle. Tout glisse sur elle, elle esquive et gratifie régulièrement la caméra d’une tête penchée et d’un sourire énigmatique, comme un greffier dans son canapé. On sent qu’elle a bossé, plus, ou différemment de la dernière fois. Même sur l’économie. Les tacles sur les questions politiques ont été anticipés, les réponses travaillées. Ça sort sans coincer. Pas de fiches qui virevoltent.

Face à Darmanin, Nathalie Saint-Cricq (mère de Benji Duhamel) disait de la présidente du RN qu’elle avait acquis une stature de présidentiable. On aimerait savoir ce qu’elle dira à son rejeton en débriefant son émission, mais on a déjà une toute petite idée.

« Ben, elle nous a échappé… comme un chat. »

Jean-Baptiste Giraud
Jean-Baptiste Giraud
Journaliste, directeur de la rédaction d’Economie Matin et Politique Matin. Il médiatraine chefs d’entreprises et personnalités politiques depuis plus de vingt ans.

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