M. Attali, « qui mourrait pour un hôtel ? »

Jacques Attali, le penseur que le monde entier nous envie, se prête, dans le journal suisse 24 heures du 17 octobre, à un long entretien. À lire de près, tant l’homme passe pour un économiste et un théoricien sérieux.

Il commence par regretter les résistances à l’accueil des étrangers en Europe avec ce propos d’anthologie : "Mais c’est honteux de ne pas accueillir tous ces gens dignes, magnifiques, souvent bien formés, jeunes, pleins de dynamisme", puis il fait l’éloge (un peu ambigu) de la Suisse et, évoquant la réputation méritée de l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne), il conclut sur une affirmation étonnante :

Le secteur de l’hospitalité, au sens large, sera l’un des principaux de l’avenir. Pas seulement sur le plan hôtelier. Le grand métier de demain sera celui de l’empathie [...]. L’EPFL est une sorte d’hôtel d’entreprises. Tout pays doit se penser comme un hôtel et ses habitants comme des hôteliers. Recevoir sans cesse des étrangers. Être accueillant.

Essayons de comprendre : dans un hôtel, on ne fait que passer une nuit, quelques nuits, et rares sont ceux qui s’y installent à demeure. Qu’universités et écoles supérieures accueillent pour une durée limitée des étudiants venus d’ailleurs, quoi de plus normal ? C’était déjà vrai, à l’échelle européenne, des universités médiévales et renaissantes, même si le terme d’hôtel est gênant, car les autochtones, professeurs et étudiants du pays d’accueil ne sont pas simplement là pour accueillir, ils sont eux-mêmes chercheurs, enseignants…

Admettons la comparaison donnée comme telle. Mais passer de ces institutions aux pays eux-mêmes - tous les pays - paraît dépourvu de sens. Dire que la France ou l’Italie ou l’Espagne accueillent de nombreux touristes, et que l’hôtellerie s’y porte bien, voilà qui est banal, mais évoquer dans le même propos « l’empathie », qui suppose qu’on se mette à la place d’autrui pour lui donner la parole comme un romancier, ou lui venir en aide comme un philanthrope, et l’hôtellerie, c’est-à-dire le commerce, le profit, les grandes écoles et finalement le pays tout entier, laisse perplexe. Entre accueillir des étrangers pour un temps limité, se montrer hospitalier parce que chacun y trouve son compte, et devenir tout entier un hôtel avec des habitants qui se pensent comme des hôteliers, il y a un gouffre.

Dans un tel pays, quels habitants à rencontrer, quelles richesses à contempler, quelles beautés à découvrir, quelle création à offrir ? Un monde où des avions bientôt de 1.000 places, des bateaux où logent 6.000 personnes emmènent des foules qui ne seraient plus nulle part chez elles, tantôt accueillant tantôt accueillies, tous devenant à leur tour bagagistes et femmes de chambre, réceptionnistes et portiers. Est-ce bien là un avenir enviable pour nos pays et nos enfants ?

Demandons la réponse au même Attali qui, en 2011, écrivait un article intitulé Penser la France sur son blog. Après avoir défini quatre conceptions de la France – territoire, culture, valeurs, hôtel -, il jugeait nécessaire de choisir en toute connaissance de cause entre ces visions :

Elles sont de plus en plus virtuelles, de plus en plus abstraites, de moins en moins assumées, de moins en moins discutées : on peut mourir pour un territoire, une culture ou des valeurs. Qui mourrait pour un hôtel ?

Quelle douce satisfaction que de prendre un donneur de leçons en flagrant délit de n’importe quoi ! Mais quand on pense qu’il est conseiller du prince...

Olga Le Roux
Olga Le Roux
Professeur

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