Livres : L’Ivraie, de Bruno Lafourcade

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Un écrivain sans succès, Jean Lafargue, accepte un poste de prof de français et d’histoire dans un lycée professionnel de la banlieue bordelaise. Autant dire, d’emblée, que Lafargue est un réac, passé sous la férule des Oratoriens au temps des Croisades ou tout du moins avant la catastrophe technologique du collège unique. Une élève, la seule qui sache écrire dans ce troupeau qui fait incontestablement la fierté de l’école de la République, le décrit ainsi : « Son crâne est lisse, rond et il brille sous la lumière comme les pierres dans l’eau. Sous son nez pousse une jungle faite de lianes descendant de chaque côté de la bouche qui dit de sa grosse voix : Sachez, cornichons, que proviseur se dit pour un homme comme pour une femme ». Une sorte de tonton flingueur, armé d'une plume et non d'un pistolet, plongé dans le monde des zivas à capuche.

Alors, plongeons dans ce monde. Cruel. Les élèves ? « Ils ne sont même pas incultes, c’est pire : ils ont l’air de naître, de n’avoir jamais rien appris… » Quelques exemples :« La guerre froide ? C’est la guerre qu’en hiver ? » « Bernanos ? Une maladie ? » À côté, les cancres des années 60, décrits par Jean-Charles, étaient des prix Goncourt : eux, au moins, savaient encore enfiler des perles en alignant un sujet, un verbe et un complément. Les profs ? « Le professeur d’anglais m’a l’air très bien… Mais deux ou trois autres m’ont fait penser à ce que disait le majordome de Duchesse d’un jour : contre eux, si j’avais le choix des armes, je choisirais la grammaire. » L’administration ? Symbolisée par la « proviseure », une « ancienne prof de français », marchant dans un « Gobi intellectuel" et chargée de faire appliquer les directives du rectorat. Notamment celles relatives à la lutte contre l’homophobie, qui semble la priorité des priorités, loin devant le combat contre l’illettrisme. Petit dialogue qui résume bien le choc de civilisation entre le tonton flingueur et les promoteurs des diversités en tout genre :
Jean, je te présente Laurent qui est responsable Homo-Transphobie en Aquitaine… Sabine m’a dit de voir avec toi…
- Qui ?
- La proviseur… Elle m’a dit de voir avec toi si Laurent pouvait venir dans un de tes cours pour parler homophobie. Tu serais d’accord ?
- Non.
»
Car pour Jean, qui n’a visiblement pas tout compris ou plutôt ne veut pas comprendre, le militantisme n’a rien à faire dans une salle de classe. « Jean avait marché sur un piège à loups, dont les dents s’étaient refermées sur lui. Ça ne dépend pas de nous, dit Mme le proviseur… Le recteur d’académie a délivré un agrément pour que des associatifs viennent parler de l’homophobie dans les classes. » Il n’avait pas compris que c’était obligatoire et pensait qu'il était là pour enseigner l’histoire et la langue française...

Mais ça, c’était avant. Avant, lorsqu’il n’y avait pas encore de médiathèques dans nos villes mais des bibliothèques. Avant, lorsqu’on ne demandait pas des comptes aux écrivains du passé : « Bossuet se serait-il opposé à la gestation pour autrui ? » Avant, lorsque l’on étudiait la littérature à travers les grands auteurs, où l’on ne mettait pas sur le même plan Katerine Pancol et Colette. Désormais, «tout le monde dînait au salon, il n’y avait plus de domestiques ; pire : tout le monde mangeait à la cuisine, il n’y avait plus que des domestiques. » Ce constat de Jean Lafargue pour l’étude de la littérature dans nos collèges, n’est-il pas, au fond, celui que l’on peut faire de notre société ? Une société qui devient « un canular géant, un monde absurde et surtout inversé, où le vrai était si ahurissant que le parodique devenait plausible. » Un canular géant où « les gendarmes peuvent désormais identifier les automobilistes ayant mangé du porc ». Où, « finalement, Notre-Dame-de-Paris sera transformée en logements sociaux, non en galerie marchande. »

Avec L’Ivraie, Jean Lafourcade, que les lecteurs de Boulevard Voltaire connaissent bien, nous offre un roman à dévorer avec férocité.

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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