Livre / Opération Frankton, l’incroyable odyssée par Christophe Soulard

La véritable mémoire des actes d’héroïsme de la Seconde Guerre mondiale (et il y en eut beaucoup, de tous côtés) tend à disparaître en même temps que les héros qui les ont accomplis. Reconstruit après coup, avec force mensonges et omissions, par les Viollet-le-Duc de l’Histoire officielle, le souvenir de ce conflit risque de s’aseptiser progressivement, asséché comme une vieille fleur dans l’herbier des manuels de la République.

Dans ce contexte, le livre de Christophe Soulard rend hommage à point nommé aux Royal Marines qui s’infiltrèrent dans l’estuaire de la Gironde, par une nuit de décembre 1942, pour y traiter des objectifs stratégiques dans le port de Bordeaux. Leur mission est encore aujourd’hui très méconnue, mais donna pourtant le signal d’une vague de sabotages en France, permit aux renseignements britanniques de préparer d’autres opérations et, surtout, sidéra l’Allemagne occupante par le courage et l’audace qui avaient présidé à son exécution. L’histoire vraie de ces héros vaut tous les films de genre : Quand les aigles attaquent, La Grande Évasion ou Les Douze Salopards ne sont pas loin. Équipe de têtes brûlées venues de tous les horizons sociaux, coup de main mené par des soldats d’élite aux nerfs solides, destins tragiques, chasse à l’homme dans la province des années 40 : on dirait que tous les clichés se sont donné rendez-vous… à ceci près que tout est exact, profondément documenté et appuyé par de nombreux témoignages.

Sélectionnés en Grande-Bretagne, formés par un jeune officier excentrique aux idées neuves (appuyé, une fois n’est pas coutume, par des supérieurs « disruptifs »), ces hommes furent mis en place par un sous-marin, pagayèrent dans l’estuaire le mieux défendu d’Europe, s’abritant sous des filets de camouflage le jour, évitant la surveillance allemande la nuit. Quatre hommes seulement, sur les dix que comptait le commando, atteignirent le port de Bordeaux. Deux seulement survécurent, à l’issue d’une traque haletante dans la campagne française. Les autres se noyèrent, furent fusillés sur place ou torturés pendant des jours.

Bien sûr, cette mission fut un échec au regard du bilan des pertes et de la modestie des objectifs traités, puisque l’Allemagne absorba bien vite la perte de ses cargos d’approvisionnement. Et quand bien même : les Thermopyles ou Camerone pourraient aussi ressembler à de simples bains de sang, vus par un rédacteur de PowerPoint en état-major. Mais leur souvenir dépasse tout cela, surclasse la stratégie et élève les soldats sacrifiés au rang de mythes, jusqu’à nos jours. Ainsi de cette opération Frankton, dont une place bordelaise porte le nom : ce n’est qu’une petite opération au milieu d’un cataclysme mondial, mais elle prouve que les circonstances savent provoquer des héros à leur mesure. "Quand les flots montent, le bateau s’élève", résume sobrement le Hagakure, le bréviaire du samouraï, pour expliquer que la nature humaine sait devenir exceptionnelle quand il le faut : dans ce cas précis, les bateaux étaient des kayaks.

Après un Clemenceau, au fil des jours, paru en 2013, Christophe Soulard met, une fois encore, sa plume au service de la vérité historique dans ce récit haletant. À lire, car mieux qu'un roman.

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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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