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Depuis près de deux générations que nos nations européennes sont ouvertes aux quatre vents de la mondialisation libérale, la question se pose légitimement de ce qu’il peut bien subsister de leur civilisation d’origine. Si le capitalisme a arraisonné nos paysages jusqu’à leur substituer de vastes étendues de parkings qui desservent de monstrueux parallélépipèdes en tôle galvanisée avalant quotidiennement des centaines de consommateurs conditionnés – sans oublier les gigantesques mâts de misère éoliens qui défigurent nos paysages multiséculaires – l’arrivée massive et soudaine d’allochtones extra-européens a profondément modifié le visage des pays hôtes.

Dans un essai enlevé et percutant préfacé par Jean-Yves Le Gallou, l’historien et germaniste Henri Levavasseur, pose le diagnostic d’un « divorce entre l’ethnos et la polis ». A l’instar de beaucoup, il observe qu’« en l’espace de deux générations à peine, le visage de la France a profondément, radicalement changé. (…) Par son ampleur autant que par sa soudaineté, un tel ébranlement correspondant à une modification aussi profonde de la composition de la population, est sans précédent dans l’histoire de notre pays ». Patrick Buisson, dans un monumental essai, dont nous avons récemment parlé dans ces colonnes, a écrit des lignes similaires et définitives.

Levavasseur repart d’Ernest Renan et de sa célèbre conférence sur la nation, prononcée en Sorbonne le 11 mars 1882. En substance, le Trécorrois soutenait la thèse, que poursuivra Jacques Bainville, selon laquelle une nation – et particulièrement la nation française – était la volonté commune de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis et de le transmettre, tout aussi continument, sans en retrancher la moindre once, ce, quels que fussent les intrants ethniques qui en auraient diversement fertilisé le fonds, Levavasseur s’empressant de relever que « la nation évoquée par Renan n’en reste pas moins issue de la fusion d’apports presque exclusivement européens, partageant des mœurs souvent comparables, conservant partout la marque d’une civilisation chrétienne implantée sur le vieux fonds païen immémorial ».

Le propos de l’essayiste consiste à démontrer, que cet irrésistible hiatus entre la « polis » et « l’ethnos », entre « la souveraineté et l’identité », n’est que la mortifère conséquence de la conception individualiste et contractuelle de la société, telle qu’élaborée par les Lumières. Le libéralisme des Modernes définit l’homme, non pas en fonction de ses attaches ethnoculturelles et communautaires, mais comme une monade oscillant entre atomisation et anomie. C’est la fameuse ineptie de John Locke proclamant dans son Deuxième traité du gouvernement civil, qu’un enfant « ne naît sujet d’aucun pays ».

C’est évidemment oublier la dimension essentiellement politique de la nature humaine, tout peuple s’enracinant avant que de se projeter. La communauté politique est tout à la fois et consubstantiellement, solidaire, subsidiaire et souveraine, chaque terme se substantivant des autres dans un rapport d’insécabilité absolu. La souveraineté n’est donc pas au-dessus du peuple ; elle n’est pas non plus objet de représentation par un être abstrait à côté de lui ou en émanant. La souveraineté est dans le peuple qui en est l’incarnation absolue. Elle est même le peuple en ce qu’elle fonde son identité. Ici, il n’est pas exagéré de dire que l’essence d’un peuple précède l’existence de la souveraineté. Celle-ci n’est concrète que pour autant qu’elle est le fruit d’un processus de prise de conscience aigu par le peuple de son « être-là » heideggérien. Dès lors, la souveraineté est foncièrement d’ordre ontologique. Le peuple est donc un être pleinement politique en ce qu’il est LE politique comme dessein et comme destin.
Dans cet essai incisif, Levavasseur fourbit les armes rhétoriques d’un combat civilisationnel aussi âpre et impérieux qu’enthousiasmant pour la part d’inaltérable vérité qu’il contient.

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04 juin 2021 à 10:42

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