Avant les législatives, mis à part les candidats d'En Marche ! mis en examen, les projecteurs médiatiques sont braqués sur la candidate Civitas de Calais. Avec 57,42 % au 2e tour de la présidentielle pour Marine Le Pen, la configuration est atypique. Sans son taux de chômage et ses camps de clandestins, Calais aurait tout pour s’en sortir avec le tunnel sous la Manche. Sauf que le Calaisis est devenu le dépotoir de la politique migratoire européenne. La France, qui a supprimé ses frontières au sud, les renforce à Calais pour empêcher les musulmans de rejoindre l’Angleterre. Du camp de Sangatte à la jungle, vingt ans que ça dure pour le plus grand malheur des Calaisiens. Sur place, pour gérer le problème, les communistes ont été remplacés par une coalition hétéroclite pilotée par un insipide maire LR, secondé par des élus issus du MRC qui ont pour point commun de travailler en liaison avec les loges. Dans ce contexte, la candidature d’une prof de lettres et de théâtre du lycée de la ville bouscule les habitudes.

Dans l’arène politique, son étiquette Civitas a été comme le chiffon rouge devant le taureau, enfin, le taureau… Nord Littoral, le journal local (66.000 abonnés à sa page Facebook, derrière Les Calaisiens en colère à 75.000), consacre une page chaque jour à dénoncer cette candidature originale. En mal de soutiens locaux, il fait appel au directeur du centre culturel local subventionné par la ville. La candidate y donne des cours de théâtre, elle est donc dénoncée à la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) par le courageux directeur qui travaille avec elle depuis des années sans rien avoir à lui reprocher.

Instrumentalisés par la rédaction, trois lycéens « indignés » témoignent de leur malaise face à une telle candidature d'un fonctionnaire de l’Éducation nationale, « garante des valeurs de la République », etc. Là aussi, le rectorat est alerté. Manque de chance, elle a été inspectée en mars dernier et a reçu les félicitations de l’inspecteur. Qu’à cela ne tienne, les délateurs veulent faire intervenir le garde des Sceaux pour des commentaires « haineux » sur des comptes Facebook et les nombreux sites qui répercutent l’affaire. Même BHL s'est fendu d'un tweet de soutien, à Manon, l'une de ces trois lycéens, qui se dit menacée sur les réseaux sociaux. Il n’a pas dû voir qu’elle arborait un badge « Free Palestine » sur sa trousse. La victime potentielle est surtout très contente de faire de pleines pages dans le canard local. À 21 ans en terminale, c’est une promotion inespérée, mais pas sûr que ce soit un bon calcul : à Nord Litto, la seule perspective est le dégraissage, au mieux.

Tous s’y mettent : La Voix du Nord, Le Huffington Post, la Ligue de défense juive, le comité CGT héninois, Mediapart d'un côté ; et, de l'autre, Riposte laïque et Jean-Marie Le Pen, qui a même apporté son soutien à Marie-Jeanne Vincent dans une vidéo dédiée. Sur place, les parents et les élèves, les profs aussi manifestent un soutien plus discret à la candidate. Ils ne voteront peut-être pas tous pour elle, mais ils expérimentent, grandeur nature, les techniques de manipulation qui ont permis l’élection de Macron.

Calais est une France en réduction, une sorte de laboratoire.

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01 juin 2017 à 20:01

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