[LE GÉNIE FRANÇAIS] Lépine, ce préfet qui réinvente la lutte contre le crime

L’insécurité et la violence actuelles ont-elles fait oublier l’anarchie et la terreur qui ont régné quelque temps à Paris, au début des années 1900 ? Le préfet Lépine, par ses multiples inventions, a métamorphosé la ville de la Belle Époque. Bien au-delà du fameux concours qui porte son nom et dont la 124e édition s’achève en ce moment à la Foire de Paris.
Explosion de violence et vague d’attentats anarchistes
Au tout début du XXe siècle, la bande à Bonnot, dont beaucoup n’ont retenu que la chanson ou la série policière, et le gang des Apaches terrorisent la capitale. Ils ne craignent pas la police, qu’ils attaquent au couteau. Seule la Belle Époque semble rester dans les mémoires. Pourtant, il ne fait pas bon sortir seul, la nuit. Délinquance juvénile, rixes à l’arme blanche, guerre de territoires, ce phénomène des bandes, fières de tuer (des gens sans défense), ne date pas d’aujourd’hui. En 1900, l’insécurité se trouve à chaque coin de rue. À quelque chose malheur est bon : cette tragédie fait émerger le génie d’un préfet, Louis Lépine, qui innove dans la lutte contre la criminalité en engageant de grandes réformes.
Plusieurs brigades : criminelle, fluviale, cycliste et cynophile
Le préfet crée plusieurs brigades : criminelle, fluviale, cycliste et même cynophile. Sa brigade du crime participe à la modernisation de la police française, notamment par la création de police-secours et l'établissement d’une police judiciaire à Paris.
La bande à Bonnot, organisation meurtrière, est formée d'anarchistes et de marginaux qui, par idéologie politique révolutionnaire, justifient leurs crimes (jugés même « romantiques » par une certaine culture de gauche !).
Ce sont d’abord des gamins, nés dans la rue, entassés dans l’est de Paris, souvent orphelins, vivant de larcins. Cette bande criminelle est tristement célèbre pour avoir introduit des innovations technologiques dans ses activités, comme l'utilisation des premières automobiles et des armes à feu modernes. Lépine, pour venir à bout de cette violence, inaugure la police scientifique en mettant en place un service d’identité judiciaire qui recueillera et analysera chaque élément de preuve d’une enquête.
Formés à la plongée et à la spéléologie
La brigade des eaux fluviales, police de l'eau francilienne, a pour première mission le secourisme, la Seine représentant une surface importante à protéger, à Paris et dans toute l’Île-de-France. Les policiers les plus sportifs sont formés à la plongée, voire à la spéléologie. Certaines années, on peut repêcher des dizaines de personnes vivantes de l'eau et un certain nombre de cadavres, sans compter les véhicules : accidents ou suicides, Il faut savoir plonger dans une eau entre 3 et 4 degrés. Cette brigade, surnommée les « saint-bernard de la Seine », deviendra un fleuron de la préfecture de police.
La brigade cycliste apparaît aussi avec ses « hirondelles » et leurs capes noires dans le vent – surnom donné aux agents, en référence à la marque de vélo. La première brigade cynophile voit également le jour, avec ses chiens bien dressés pour trouver les malfaiteurs.
Il transforme l’espace urbain
Louis Lépine transforme surtout l’espace urbain parisien, la circulation dans les rues étant devenue impossible. Chevaux, fiacres et automobiles se multiplient et se croisent, formant des embouteillages de plus en plus désordonnés et dangereux. Des gardiens de la paix régulent désormais le trafic, munis de bâtons lumineux et de sifflets.
Le préfet invente encore le passage pour piétons, le sens giratoire et le sens interdit. Puis le premier permis de conduire et le service des objets trouvés.
Une vie de héros
Né le 6 août 1846 à Lyon et mort le 9 novembre 1933 à Paris, Louis Lépine est engagé volontaire dans la guerre franco-prussienne de 1870 pour laquelle il est décoré de la médaille militaire.
Il exerce brièvement le métier d’avocat, puis quitte le barreau pour l’administration. Préfet de la Loire, le 6 décembre 1891, il descend au secours des victimes d’un coup de grisou qui tue 62 mineurs, près de Saint-Étienne. Il parcourt les galeries incendiées et toxiques. Il recevra la médaille d'or du sauvetage. Ce courage lui vaudra d'être respecté des policiers et apprécié par la population.
Malgré toutes ses inventions et une vie pleine de péripéties et d’un dévouement hors normes, Louis Lépine fait parler de lui pour tout autre chose : une raison économique.
Le concours des inventions. Une institution française
Louis Lépine veut juste sauver l’industrie française du jouet concurrencée par la production allemande. En effet, sa police a maille à partir avec de nombreux artisans qui s’installent sur le trottoir pour vendre leurs jouets, ce qui provoque des bagarres entre boutiques voisines.
Notre préfet a alors l’idée de créer une sorte de salon d’exposition annuel avec un concours qui met en concurrence les artisans inventeurs de jouets et autres articles pour la maison. Une seule règle : chaque jouet ou objet doit présenter un élément nouveau. Le succès est immédiat : la première édition de 1901 compte 370 concurrents qui présentent 700 inventions. Plus les idées sont farfelues, plus la presse se régale. Et plus le public accourt.
Un jury de scientifiques et d’académiciens distribue les médailles d’or, de vermeil et de bronze. En 1929, le concours s’installe à la Foire de Paris, ce qui donne lieu à deux événements en un. Souvent loufoques, certaines inventions peuvent aussi sauver des vies. On peut citer, par exemple, l’invention du drone anti-incendie, primé en 2019, et celle du kit Mainpulse pour fauteuil roulant qui décuple la force de la main, cette année 2025.
Quelques inventions qui doivent leur succès au concours Lépine, même si elles n’ont été commercialisées, parfois, que quelques décennies plus tard : le mouchoir jetable (concours 1901), la Cocotte-minute® (1911), le stylo à bille (1919), le fer à repasser à vapeur (1921), le presse-purée (1931), la machine à coudre Singer® (1932), le sèche-cheveux (1935), l’aspirateur-balai Tornado® (1945), les lentilles de contact (1948), la capsule de café rechargeable (2021)…
Et les vainqueurs du dernier concours Lépine ont été nommés ce 9 mai 2025.
Bref, c’est dans nos gènes de Français, nous sommes véritablement un peuple d’inventeurs.

Louis Lépine (1846-1933)

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17 commentaires
A l’époque de Monsieur Lépine , les préfets n’étaient pas des petits hommes de plomb sous l’autorité de technocrates immatures.
Décidément Lepine est un nom d’inventer ce qu’il faudrait aujourd’hui en France pour endiguer la criminalité. Quand on veut on peut mais nos politicouards ne veulent pas.
On a eu le Préfet Lépine, et maintenant on a la Maire Hidalgo…..cherchez l’erreur !
Ah, voilà le nom que je cherchais : Bertillon.
Très intéressant et même instructif.
Jamais enseignées à l’école les actions de ces hommes à qui l’on doit beaucoup.
Oui il faudrait que ces actions soient dans les programmes scolaires pour faire connaître et aimer la France
Un préfet qui était loin d’être un rond de cuir.
Article très intéressant
Merci pour cet article Monsieur de Quelen. Je ne connaissais rien de ce Lépine, à l’origine du concours, et de sa vie héroïque. .
Merci pour l’article. Je crois bien que Clémenceau puis Churchill ont veillé à la sécurité publique et que cela n’a pas nui à leur carrière…
Et moi j’ai toujours cru que l’appellation « Hirondelle » venait de la cape qui volait au vent !
singer etait americain
Absolument. Le concours est évidemment international. C’est son inventeur qui est français.
Mais l’inventeur de la 1re machine à coudre est bien français : Barthélemy Thimonnier, né sous la Révolution
Paris Police 1900. Une série qui mérite d’être vue. Vous apprendrez tout sur le « bertillonnage »
Ah, voilà le nom que je cherchais : Bertillon.