L’affaire du col romain, ou l’arroseur arrosé

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On se souvient peut-être de cette tirade de Jean-Marie Le Pen, dans les années 80 : « À gauche du parti radical, du Grand Orient et de la Ligue des droits de l'homme, je vois quelques évêques... ils sont en civil, pourtant. C'est même à ça que je les reconnais, d'ailleurs. Ils ont le col roulé - n'est-ce pas. » C'était l'époque où, en effet, pour faire moderne, le port d'une croix latine aussi discrète que possible devait suffire à identifier les hommes de Dieu. On avait toutefois fini par trouver une sorte de moyen terme, dans l'église conciliaire : pantalon noir et chemise à col romain, dit « clergyman » - comme pour signifier une proximité non seulement rituelle, mais encore vestimentaire, avec les protestants anglo-saxons.

Or, voici qu'un prêtre à col romain s'est vu refuser la confection de ses papiers d'identité au motif que ses vêtements, selon la loi de la République, étaient un signe religieux, vecteur de prosélytisme. Après un recours gracieux, l'avocat de l'homme d'Église a fini par faire comprendre à l'administration que le col romain n'empêchait pas l'identification de son porteur et qu'il ne s'agissait donc pas d'une offense faite à Marianne, dont on sait effectivement, depuis Delacroix, qu'elle préfère les vêtements qui découvrent la gorge.

Abyssale bêtise des services de l'administration, bien sûr. On a beau se dire qu'on ne sera pas surpris, ils nous trouvent toujours quelque chose. Abyssale inculture, aussi, dans un pays jadis catholique : déjà, à l'époque de la Manif pour tous, les services de la délicieuse Mme Taubira avaient écrit le nom de Mgr Vingt-Trois en chiffres (« André 23 », le retour), faute de savoir, probablement, que les évêques ne portaient pas de numéro. Mais aussi, incroyable haine : sous prétexte de ne pas stigmatiser, on en vient à détester toutes les manifestations du sacré.

« Le style, c'est l'homme même » : cette sentence un peu plate de Buffon, recopiée par Hegel, n'a jamais été aussi vraie que dans notre siècle laid et uniforme. Autrefois, les habits de luxe étaient de couleur vive, et l'habit de couleur neutre était celui du tiers état. Les trois mousquetaires se vêtaient de marron et de gris pour se déguiser en bourgeois. Aujourd'hui, mettre des chaussures de ville, c'est déjà être révolutionnaire. « Être punk aujourd'hui, c'est être conservateur », comme l'a dit le chanteur des Sex Pistols, Johnny Rotten. Le style, en tout cas, ne veut pas rien dire. C'est une déclaration, de guerre parfois. Le style ecclésiastique, c'est justement l'homme même. Le prêtre porte sur lui l'uniforme de son engagement, à la différence du militaire français, par exemple, à qui on a interdit jusque récemment, pour sa sécurité, de se montrer en uniforme dans les rues de son propre pays.

En faisant un choix centriste (ni soutane ni tee-shirt), les prêtres se sont logiquement attiré le mépris de toutes-et-tous. La République y compris.

À ce propos, pour finir, vous souvenez-vous de cette campagne contre les voiles trop couvrants sur les photos d'identité ? « La République se vit à visage découvert. » Superbe slogan. Mais, du coup, si nous vivons encore plusieurs décennies avec des rappels de vaccin tous les six mois et des masques en papier pour arrêter les maladies, nous aurons le visage couvert en permanence. Dans quel régime vivrons-nous, alors ?

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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