L’accusation de néo-colonialisme lancée par la droite italienne à la France : à l’origine, le fiasco libyen

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Une vidéo circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux montrant Giorgia Meloni s’attaquant violemment à la France, à Emmanuel Macron et la gestion néocoloniale de l’Afrique à travers le maintien du franc CFA dans 14 pays d’Afrique.

Il convient de recontextualiser ces paroles de la toute nouvelle présidente du Conseil italien. Tout d’abord, cette violente diatribe a été prononcée lors d’une émission télévisée de 2019. Les relations franco-italiennes n’étaient pas au beau fixe, loin s’en faut. Emmanuel Macron n’avait-il pas fustigé la « lèpre populiste » représentée, selon lui, par le ministre de l’Intérieur d’alors, Matteo Salvini ? La question migratoire se posait dans les mêmes termes qu’aujourd’hui et Emmanuel Macron n’en finissait plus de déverser sa bile sur le « cynisme des Italiens », « à vomir ». Cette même année, Luigi Di Maio, ministre des Affaires étrangères du Mouvement 5 étoiles, mais aussi Matteo Salvini avaient usé des mêmes mots que Giorgia Meloni pour attribuer le rôle néfaste de la France dans la gigantesque crise migratoire que l’Italie avait eu à affronter à l’attitude néo-coloniale française : le franc CFA en était, selon eux, une caractéristique.

Ainsi, pour des raisons lointaines, Giorgia Meloni, Matteo Salvini et Luigi Di Maio reprenaient des arguments des décoloniaux africains.

Pourquoi ?

Ce ressentiment contre la France en Afrique trouve ses racines dans l’affaire libyenne : lorsque l’offensive est lancée en 2011 pour renverser Kadhafi, l’Italie est le premier partenaire commercial de la Libye, qui fournit au gouvernement de Silvio Berlusconi une aide précieuse pour lutter contre l’immigration clandestine vers l’Europe. Le chaos migratoire de 2015 qui a affecté l’Italie en premier lieu et l’impossibilité pour l’Italie et pour l’Union européenne de nouer de nouvelles relations dans un pays instable en proies aux milices rivales afin de traiter le flux migratoire clandestin à partir de la Libye est la conséquence directe du renversement de Kadhafi. En Italie, la volonté française de substituer en Libye l’influence française à l’influence italienne est une opinion communément admise et nourrit cette incompréhension entre les deux pays. Il est vrai, aussi, que les Italiens considèrent volontiers l’immigration nord-africaine et subsaharienne comme une conséquence directe de la décolonisation française. Et les critiques virulentes contre le franc CFA ne sont en réalité que la manifestation d’une méconnaissance de l’Empire colonial français mais sont aussi l’expression d’un reproche virulent du fiasco libyen.

Qu’en est-il du franc CFA ?

Le franc CFA est-il un impôt néocolonial, comme le laisse entendre Giorgia Meloni dans cette vidéo d’il y a trois ans ?

Le franc CFA a perduré après la décolonisation pour des raisons évidentes. Comme l’explique l’économiste Jacques Sapir, « la question telle qu’elle se posait dans les premières années de l’indépendance était de savoir si un pays pouvait se payer le luxe, compte tenue de l’immensité des tâches auxquelles il faisait face par ailleurs, d’accorder assez de ressources à la construction d’une administration monétaire complète. Outre ces dépenses, se posait aussi la question de la crédibilité de la politique monétaire des nouveaux États. Or, cette crédibilité était nécessaire à la défense d’une convertibilité raisonnable. »

La France s’arroge-t-elle un impôt de 50 % sur les richesses des pays du franc CFA ? La cellule checknews de Libé, s’appuyant sur les données de la Banque de France, explique : « Le franc CFA repose sur trois principes fondateurs, dont la garantie de convertibilité illimitée par le Trésor français. Celui-ci prévoit que, en contrepartie du fait que la convertibilité des monnaies de chaque pays soit garantie par le Trésor, chaque pays membre doit centraliser ses réserves. Ainsi, 50 % des réserves de change de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et de la Banque centrale des États de l'Afrique centrale (BEAC) doivent être déposées auprès du Trésor français. […] Ainsi, ces deux banques centrales "disposaient en 2005 de plus de 3.600 milliards de francs CFA auprès du Trésor français", expliquait Le Monde en 2015. Soit un stock d'environ 72 milliards d'euros. Il ne s'agit donc pas d'un impôt versé par les pays africains à la France, mais d'un dépôt, dont les intérêts leur sont reversés. »

Tout ceci, on le voit, n'est que l’écume de la crise diplomatique qui opposait la France à l’Italie en 2019, quand le gouvernement italien était aux mains de la coalition Ligue-M5S.

Et aujourd’hui ? L’affaire de L’Ocean Viking n’a sans doute pas arrangé ces relations bilatérales : la France a été contrainte, par une habile stratégie de Giorgia Meloni, d’assumer  de mauvais gré son rôle de nation d’accueil qu’elle avait tranquillement dévolu à l’Italie, ce qui lui donnait l’occasion d’assener régulièrement des leçons de morale empreintes de condescendance à nos voisins italiens.

Forcé de prendre – mal – ses responsabilités, Gérald Darmanin fut piqué au vif : mardi après-midi, il n’a pas hésité à traiter l’Italie de « pays ennemi », lors de la séance de questions au gouvernement. Une maladresse qui montre la fébrilité de la Macronie dans la gestion des flux migratoires.

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

Vos commentaires

33 commentaires

  1. Monsieur Darmanin n’est pas une référence mais le larbin de Macron. Lorsqu’un nul est au pouvoir, les sous-fifres sont encore plus nul. Espérons que l’Italie saura montrer l’exemple et éradiquer la racaille de leur pays.

    • Pourvu que ça ne soit pas en les encourageant à passer entre nos deux pays. En critiquant l’attitude de Madame Méloni, notre gouvernement aurait mieux fait de se taire.

  2. Il faudrait effectuer un bilan de l’action macronienne par thème. En matière diplomatique, c’est une catastrophe.

  3. La langue de bois est une vertu de nos ministres, les justiciables, les policiers ont décidés d’accueillir des migrants cherchés au rendez-vous en mer, Est ce vraiment eux qui ont décidés, bonne question. Tiré comme il fait sur l’Italie alors qu’elle à pris un nombre si considérable de migrants bien supérieur à ce qu’elle devait, c’est une profonde injustice.

  4. La suite logique des crétins qui sont à la tête de notre République et qui ne peuvent s’empêcher de donner des leçons au monde entier alors que leur pays s’enfonce dans une misère sans précédent.
    Il suffit de regarder leurs tête pour tourner le bouton du poste dès qu’ils ouvrent leur clapet. C’est à cela que l’on est réduit dans cette République.

  5. La critique sur la Libye est tout à fait pertinente. Ce fut une erreur et même une faute d’avoir voulu changer le régime libyen. Sarkosy est responsable de ce fiasco et du traité de Lisbonne.

    • Kadhafi était le bouclier européen , avec tous ses défauts mais avec cette qualité là , ce n’était pas gratuit , sans contrepartie mais il faisait le bouleau , merci sarko …

  6. La France ne représente plus rien à l’étranger. Son influence est totalement laminée et l’attitude de ses dirigeants est moqué sur la planète entière. D’autres pays prennent le relais avec brio. Même la baguette fraîche et le steak frites dégustés face au chantier de Notre Dame ne donnent plus envie. La France est définitivement engluée dans un mondialisme puant.

  7. Sous la macronie, avec quel pays ne sommes-nous pas en froid ? Vous aurez du mal à les identifier. Quant à la position de la France face à l’immigration, elle est pour le moins très paradoxale. En pays vertueux, elle défend l’humanisme toutes griffes dehors . Mais les migrants accueillis dorment sous les ponts et ne reçoivent aucune formation linguistique et professionnelle. Leur nourriture privilégiée, la drogue. La macronie ne veut pas accueillir ouvertement des migrants mais laisse ses frontières ouvertes à tout vent. Quelle hypocrisie ! Autrement dit plus objectivement, la macronie procède à petits feux à la déconstruction de la France par sa désintégration.

  8. Et c’est en traitant l’Italie de « pays ennemi » que Macron veut développer l’Europe ? On est en froid, très froid avec l’Allemagne, on traite l’Italie d’ennemi, l’Angleterre a regagné son île, la France est en faillite virtuelle et est sans énergie avec un commerce extérieur moribond et une dette abyssale ! Il faut être Macron pour se croire encore quelque chose d’autre qu’un naim, un Président zombi comme le titre Le Point de cette semaine… Et c’est « ça » qui a été élu !

    • « Et c’est « ça » qui a été élu ! » . Et oui, et les français commencent à pleurer, pauvres petits. Quand on donne le bâton pour se faire battre, on assume.

  9. La responsabilité de la France est en effet accablante : la destruction de la Libye initiée par Sarkozy (et soutenue par l’opposition d’alors) est la cause essentielle de la vague d’immigration que nous subissons toujours. La défausse sur l’Italie montre bien ce qu’il en est des solidarités européennes…

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