La grande pitié de Notre-Dame

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Ce 15 avril 2019, sous le regard médusé d’autochtones et de touristes hagards, la fine flèche de Viollet-le-Duc tira son ultime révérence, prisonnière des mille langues enflammées occupées à lui prodiguer leurs mortels baisers. Notre-Dame de Paris agonisait et tous eurent pitié…

Une cathédrale, et non des moindres, en cendres en cette Semaine sainte, l’image a de quoi tout à la fois sidérer, attrister, blesser, mais aussi glacer d’effroi, si l’on se risque à interpréter ce funeste incendie au prisme d’une obscure et complexe sémiologie mêlant le vieux fonds païen de nos pères aux antiques superstitions venues du fond des âges.

À croire que c’était la destinée de cette grande dame de pierres que de s’évanouir dans un grand embrasement chrismal au ciel rougeoyant de Paris. Victor Hugo ne l’avait-il pas entrevu par les yeux aussi épouvantés qu’épouvantables de Quasimodo déversant les feux de l’Enfer sur ses assaillants : « Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée » (Notre-Dame de Paris, Livre X, Chapitre IV).

En 2013, l’historien Dominique Venner, mû par on ne sait quel sourd instinct tellurique dont il avait le secret, ne semblait, selon lui, ne s’y être guère trompé lorsqu’il choisit précisément ce « lieu hautement symbolique » pour s’immoler par « suicide-avertissement », selon la formule de l’abbé Guillaume de Tanoüarn. L’auteur du Choc de l’Histoire n’y désirait seulement voir sous ses voûtes séculaires, respectables et admirables « édifiée[s] par le génie de mes aïeux sur des lieux de cultes plus anciens, rappelant nos origines immémoriales », que le témoignage lointain d’un paganisme de toujours…

Pourra-t-on « reconstruire », ainsi que le réclame le président de la République dont le gouvernement laisse pourtant, journellement, se dégrader ou profaner nos églises dans une méprisante indifférence ? Viollet-le-Duc avait écrit que « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut ne jamais avoir existé à un moment donné ». Restaurer, soit. Mais il faudra, cependant, de nombreuses et fortes prières pour écarter Jean Nouvel, ses épigones et toutes leurs hideuses muses modernistes de sale et mauvais goût !

Cette cathédrale fut un chantier permanent. Les historiens s’accordent, désormais, pour dire que l’édifice tel qu’on le connaît actuellement remonterait à la première moitié du IXe siècle. La première cathédrale aurait été probablement bâtie sous le règne du roi de Paris d’alors, Childebert, au IVe siècle, sans que l’on parvienne néanmoins à fixer une datation précise. De romane à l’origine, elle se parera des plus beaux atours du gothique sous l’impulsion de Maurice de Sully, évêque de Paris, qui voulait en remontrer à sa rivale, la puissante abbaye de Saint-Germain-des-Prés, tandis que jaillissaient de terre les futures cathédrales de Laon, Noyon, Chartres et bien d’autres. À partir de là, d’autres architectes, aujourd’hui oubliés, tels Jehan de Chelles, Pierre de Montreuil, Jean Le Bouteiller ou Jacques-Germain Soufflot, s’emploieront à embellir l’ouvrage. Il faudra l’imagination et le génie de Viollet-le-Duc (aidé de son fidèle associé Jean-Baptiste Lassus) pour faire de Notre-Dame une référence architecturale majeure dans le monde.

De Saint Louis à Philippe le Bel en passant par Louis XIII (qui y consacra le royaume sous la protection de la Vierge) jusqu’à la Libération, Notre-Dame résonna de la voix des anges du Ciel. Le 30 mai 1980, Jean-Paul II y déposa sa plus belle prière à « ville capitale » et au « pays de France ».

Aristide Leucate
Aristide Leucate
Docteur en droit, journaliste et essayiste

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