La rencontre historique du pape François avec l’ayatollah Ali Husseini al-Sistani, plus haut dignitaire chiite du monde musulman, est relayée par tous les journaux, en ce samedi 6 mars. L’homme en blanc face à l’homme en noir, le vicaire du Christ face à un descendant du prophète (en atteste son turban noir), le pape catholique face au « pape » chiite. « L’une des rencontres religieuses les plus importantes de l’Histoire », estime Le Monde. En tout cas, la rencontre idéale pour des clichés réussis, même si les images de cette entrevue ont été relativement furtives.

Cet ayatollah ne parle pas pour ne rien dire. Dans un article paru dans Le Figaro, le 26 décembre 2017, Georges Malbrunot, fin connaisseur du Moyen-Orient, écrivait à son propos : « Son silence est sa force. » Ce religieux, âgé de 90 ans, originaire d’Iran et installé en Irak depuis 1951, joue un rôle des plus importants dans ce pays comptant 60 % de chiites, et ce, notamment depuis la chute de Saddam Hussein. « Chaque mot, chaque silence du plus haut dignitaire chiite d’Irak est scruté de près, dans le pays comme à l’extérieur », expliquait Le Figaro. Pas du genre à bavarder au débotté avec des journalistes entre deux sièges dans l'avion au retour d’un voyage lointain.

À l’actif d’al-Sistani, notamment son appel au djihad contre l’État islamique, le 13 juin 2014, au lendemain de la prise de Mossoul par l’organisation terroriste. Une fatwa aux accents de croisade contre les infidèles que ne pourrait évidemment pas se permettre, de nos jours, l’homme en blanc, lointain successeur d’Urbain II ! À cet appel à prendre les armes contre les mécréants (takfiri), des milliers de miliciens irakiens répondirent (plus de 100.000, si l’on en croit le site Orient XXI).

Alors, après cette rencontre avec le souverain pontife, l’ayatollah, toujours très économe de ses mots, a fait savoir par un communiqué de son bureau « l’attention qu’il porte au fait que les citoyens chrétiens vivent comme tous les Irakiens en paix et en sécurité, forts de tous leurs droits constitutionnels ». Chrétiens qui ne seraient plus que 400.000 dans un pays de 38 millions d’habitants, alors qu’ils étaient entre 1,2 et 1,5 million en 2003, selon Le Monde.

Curieusement, tous les journaux qui évoquent, en ce samedi 6 mars, cette rencontre historique passent discrètement sous silence une fatwa que l’ayatollah al-Sistani avait promulguée en 2006 à l’encontre des homosexuels. Il appelait, en effet, les fidèles à les tuer « de la pire manière qu’il soit », rapportait L’Obs avec Rue89, dans un article du 2 novembre 2006. On y expliquait que « depuis cet appel d’al-Sistani, les attaques, les menaces, les tortures et les meurtres homophobes [s'étaient] multipliés ». Non, rien sur cette fatwa. La peur de gâcher la fête humaniste, peut-être ?

Rien ? Pas tout à fait. Le 27 février dernier, La Croix, évoquant cette prochaine rencontre entre l’homme en blanc et l’homme en noir, expliquait à propos de ce dernier que « ses ouvrages sur le hadj (le pèlerinage à La Mecque) ou les hadiths (la tradition prophétique), comme certaines de ses fatwas – dont certaines controversées sur le rejet des homosexuels -, témoignent de sa fidélité à la tradition chiite la plus classique ». « Tradition chiite la plus classique » : pour un catholique de tradition la plus classique, on résumerait sans doute ça en « intégriste », histoire d'aller à l'essentiel. « Certaines controversées » : comme c'est bien dit, en tout cas. C'est ce qu'on doit appeler un voile pudique, à défaut d'être islamique.

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07 mars 2021 à 1:19

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