Alors que va s’ouvrir le désormais traditionnel Festival de la bande dessinée d’Angoulême, sur fond de harcèlement sexuel et de patriarcat dans le monde des petits Mickey, une nouvelle est néanmoins propre à réchauffer le cœur des amateurs du genre : la parution, prévue en septembre prochain, d’un numéro exceptionnel du Journal de Tintin.

L’objet devrait totaliser plus de 300 pages et accueillir quelques plumes et crayons connus, dont Cosey et son Jonathan, Derib et son Buddy Longway, Hermann et son Comanche. Bref, autant dire que tout cela ne rajeunira personne et surtout pas l’auteur de ces lignes.

Car le fameux journal des 7 à 77 ans relève d’une époque que les moins de 50 ne peuvent pas connaître, ou alors de très loin. À l’époque, dans les cours de récréation, si les grands frères jouaient à l’éternelle querelle opposant Beatles et Rolling Stones, la bataille d’Hernani opposant les plus jeunes faisait s’affronter les fans du journal de Tintin et ceux du journal de Spirou. Certes, il y avait, plus minoritaires, les amateurs de Pif et ceux de Fripounet et Marisette, sociologiquement plus marqués : les cocos contre les calotins, pour aller court. Sans oublier ceux, plus rares encore, qui ne juraient que par Strange, premier journal à populariser les héros de Marvel, tels Spiderman, X-Men et les Quatre Fantastiques.

Pourtant, même si Hergé a toujours estimé que Franquin, artiste ayant emmené Spirou et Fantasio vers les sommets qu’on sait, était meilleur dessinateur que lui, Tintin tenait malgré tout le haut du pavé. À cela, plusieurs raisons. Si le célèbre groom et son ami journaliste étaient des personnages passés de mains en mains, de Rob-Vel à Franquin en passant par Joseph Gillain, en attendant celles de Fournier et d’autres encore, Tintin fut, lui, la création exclusive de Georges Remi, dit Hergé.

Né avec lui, il est mort avec lui. D’ailleurs, qui aurait été assez présomptueux pour relever le gant ? Malgré la frustration légitime des lecteurs, ce n’est peut-être pas plus mal et cela nous aura sûrement évité un Tintin new look, pacsé avec le capitaine Haddock, tous deux couvés par une Castafiore féministe. En effet, Tintin ne vient pas de nulle part, puisque ayant vu le jour dans les pages du Petit Vingtième, supplément illustré du quotidien belge et catholique Le Vingtième. Le mentor d’Hergé ? L’abbé Norbert Wallez, homme de tradition, mais à qui cette modernité incarnée par la bande dessinée ne fait pas peur, loin s’en faut.

L’époque étant alors au scoutisme, le jeune reporter est évidemment empreint des valeurs de ce mouvement de jeunesse. Loyal et droit, intrépide et généreux, le péché ne semble pas avoir prise sur lui. Malin, Hergé le flanque bientôt d’un acolyte autrement moins lisse : le capitaine Haddock, Archibald de son prénom. Lui fume comme une cheminée, jure comme d’autres disent bonjour, boit du whisky comme si c’était de l’eau. Il est atrabilaire, fantasque, de mauvaise foi. Bref, il est humain.

Le génie d'Hergé est également d'inscrire ses personnages dans le monde réel, voire l'actualité immédiate. Anticommunisme (Tintin chez les Soviets), anticapitaliste (Tintin en Amérique), conflit sino-japonais (Le Lotus bleu), montée du fascisme et du nazisme (Le Sceptre d'Ottokar), question israélo-palestinienne (Tintin au pays de l'or noir), guerre froide (L'affaire Tournesol) : on peut donc lire les aventures de Tintin avec des yeux d'enfant, mais également avec le regard d'un adulte féru de géopolitique.

Mieux que de simples héros de bande dessinée, c’est encore un univers complet qu'Hergé a créé. Un univers si exceptionnel que tous ceux qui ont tenté de le retranscrire au cinéma ont échoué. En dessin animé ? Le Temple du Soleil et Tintin et le lac aux requins sont parfaitement dispensables. Avec le jeune Jean-Pierre Talbot qui lui prête ses traits dans Tintin et le mystère de la toison d’or et Tintin et les oranges bleues ? Pas grand-chose à sauver. En images de synthèse sous la direction de Steven Spielberg dans Le Secret de la Licorne ? Un naufrage. D’ailleurs, hygiénisme oblige, le capitaine Haddock y est privé de sa pipe et de sa bouteille de Loch Lomond. Sacrilège…

On comprend mieux pourquoi Hergé ne voulait pas que le reporter à la houppette lui survive. La légende dit qu’un enfant lui aurait écrit pour se plaindre que dans ces films, le capitaine en question n’avait pas la même voix que dans les albums. Tout était dit.

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28 janvier 2023 à 10:45

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14 commentaires

  1. Hergé, tout comme Saint-Exupéry, avait la prémonition de ce qu’allait devenir notre pauvre monde…

  2. Je me souviens encore que pour mon anniversaire de 9 ans, j’avais demandé un « Tintin » à ma Maman ! (en 1949 !).
    Niet ! Depuis, je les ai TOUS !

  3. Le génie d’Hergé est d’avoir créé la grande oeuvre qui a fait entrer la bande dessinée dans le cercle très fermé des Arts, devenant le 8° (les deux Arts du 20° siècles sont formidables : Cinéma et Bande Dessinée, ce sont des arts de synthèse, riches et nouveaux). La musique a eu Mozart (un « avant » et un « après »), Picasso pour la peinture, etc.
    Tintin, c’est plus qu’une maîtrise littéraire et une maîtrise graphique en symbiose, c’est un peu comme l’architecture : un miracle d’inventivité, d’équilibre, de rythme, d’harmonie, où le résultat apparaît parfait. C’est aussi une oeuvre qui nous accompagne dans la vie, comme une vraie famille.
    Bref, j’adore Tintin (vous l’aviez compris).

  4. Mon enfance dans les années 60 a baigné dans l’univers des albums de Tintin. Grâce à lui, j’ai beaucoup appris sur l’histoire, la géographie et les multiples cultures du monde de l’époque : un réel apport de culture générale, très formateur à cet âge et dont je garde intact le souvenir.

  5. La passionnée de  » Fripounet et Marisette », donc « sociologiquement plus marquée »?, adorait aussi lire Tintin et…Spirou!
    Na!
    Et n’a pas aimé les tentatives « modernes » pour mettre tintin au gout du jour (notamment le film et le dessin animé)

  6. Quand on relit les albums de Tintin en étant plus âgé on trouve parfois des choses cachés comme des jeux de mots. Il y en a un que je n’avais à priori pas vu sur la une d’une gazette où l’on voit la Castafiore pousser le capitaine dans un fauteuil roulant…

  7. Décision judicieuse de Hergé. Car à coup sûr, les outrances que vous décrivez auraient vu le jour. « Il faut savoir quitter… » a chanté Aznavour.

  8. J’attends le mois de septembre pour me procurer ce nouveau numéro du Journal de Tintin. Hergé était un génie. Il nous faisait rêver. C’était le bon temps, on pouvait appeler un chat un chat. On buvait du chocolat Banania sans être qualifié de raciste, on lisait Tintin au Congo, et Tintin fut le premier homme à marcher sur la Lune. Une fusée trône dans ma maison (entourée des répliques d’avions et de la célèbre Jeep bleue) et une autre, de belle taille, 4 mètres de haut, est souvent prise en photo par les marcheurs longeant mon terrain. Ce décor me permet d’oublier de temps en temps, les horreurs et la folie de notre monde d’aujourd’hui…

  9. Excellent article ;
    Tintin ( et Milou ! ) un succès intemporel ; que d ‘ heures passées avec un tel plaisir à lire et relire des albums qui finissent en lambeaux tellement ils sont passés par tant de mains jeunes et …moins jeunes !
    Par contre je trouve Fripounet Marisette ,que j ‘ aimais bien aussi , plus rural et campagnard que marqué sociologiquement …

    1. Fripounet et Marisette étaient, si mes souvenirs sont bons (hélas, cela ne rajeunit pas comme dit l’auteur de l’article), étaient bien élevés.
      Sans doute c’est cela qu’il voulait montrer?

  10. J’ai toujours été tintinophile et très peu d’autres dessinateurs de BD m’ont plu ( Alix, Black et Mortimer), c’est le trait marqué, la netteté du dessin, les dialogues bien écrits ( dans les 2 sens du terme ) tout le contraire des Astérix aux traits confus avec des bulles énormes remplies d’onomatopées.

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