Guillaume Bernard : « Avec Jean Castex, la technocratie s’installe à Matignon »

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Guillaume Bernard analyse les dessous et les conséquences du départ d'Édouard Philippe et de la nomination de Jean Castex. Pour lui, « Emmanuel Macron continue à démanteler LR ».

Jean Castex, Monsieur Déconfinement, proche de Nicolas Sarkozy, vient de remplacer Édouard Philippe, sans qu’on s’y attende vraiment. Que signifie ce remaniement ?

Je pense qu’Édouard Philippe doit être soulagé d’avoir quitté le gouvernement. Il y a une crise économique et sociale majeure qui s’annonce. Il sort la tête haute ayant, aux yeux de beaucoup, mais pas aux miens, je dois avouer, géré la crise sanitaire. Par conséquent, il va pouvoir se consacrer à sa ville du Havre et, peut-être, devenir présidentiable possible. On peut penser que certains l’ont poussé à quitter Matignon pour devenir un éventuel remplaçant d’Emmanuel Macron, si jamais ce dernier était dans l’incapacité de se représenter en 2022.
Emmanuel Macron avait peut-être intérêt à ne pas avoir un Premier ministre qui lui fasse de l’ombre et avoir un exécutant qui soit à la fois dans la continuité, tout en ne lui faisant pas de l’ombre.

Jean Castex est un illustre inconnu pour la majorité des Français. Que savons-nous sur lui d’autre que le fait qu’il ne fera pas d’ombre à Emmanuel Macron ?

C’est un techno, un énarque. Je ne suis pas de ceux qui crachent sur les énarques, car ce sont généralement des gens techniquement efficaces. Le problème est que l’énarchie est normalement là pour exécuter, pour trouver les moyens au service d’une politique décidée. Donner le pouvoir politique à des énarques est ennuyeux, car ils sont compétents pour reproduire un système, mais pas pour prendre de véritables initiatives et décider d’une politique avec un objectif déterminé. La technocratie s’installe à Matignon. Nous verrons, bien entendu, quelle sera la composition du gouvernement. C'est ce qui sera vraiment significatif pour la politique menée dans les mois et les années à venir. Mais, disons-le tout de suite, le choix de quelqu’un qui a travaillé avec Xavier Bertrand et avec Nicolas Sarkozy est le signe qu’Emmanuel Macron veut, après avoir siphonné le PS en 2017, continuer son travail de sape des anciens partis de gouvernement en démantelant LR.

La mise en avant publique du nom du directeur de cabinet de Jean Castex, Nicolas Revel, un cadre du PS, ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée sous François Hollande, est un fait assez inhabituel dans la culture française. Un Premier ministre de droite mais, en même temps, un directeur de cabinet de gauche…

C’est la grande coalition macronienne. La tentative d’institutionnaliser, d’officialiser la cohabitation que nous avions eue dans les années 80 et 90. Cette fois-ci, elle se réalise par un parti ou, du moins, par une équipe dans le cadre de l’exécutif. C’est la grande coalition des modérés de droite et de gauche. C’est dans la continuité de ce qu’Emmanuel Macron avait fait auparavant. Disons-le aussi, c’est un peu son assurance-vie. C’est comme cela, par sa position centrale, moins par l’adhésion des Français que par l’incapacité des oppositions à se coaguler, qu’il pourra à nouveau être candidat et vainqueur en 2022. Ce qui peut stopper Emmanuel Macron, c’est l’émergence d’une candidature alternative en dehors des actuels partis politiques que sont LR et le RN. Sinon, il y aura toujours des dissensions et l’incapacité de se mettre d’accord sur une candidature. Seule une telle candidature qui puiserait des voix au LR, au RN, voire chez LREM, pourrait empêcher Emmanuel Macron d’être au second tour en 2022.

Nous avons tous en ligne de mire les deux ministères régaliens de l’Intérieur et de la Justice. Si ni Castaner ni Belloubet ne partent, ce remaniement sera difficile à défendre…

C’est certain ! Il est vraisemblable, et c'est ce qui est annoncé, qu’il y ait d’assez grands changements de personnalités, mais aussi une répartition différente de postes. Un président de la République est libre de nommer des ministres et de leur donner le titre qu’il désire, et de mettre sous leur autorité un certain nombre d’administrations. On peut penser qu’Emmanuel Macron va essayer de réorganiser le gouvernement en redistribuant les différentes administrations en fonction des différents ministres. Cela signifierait peut-être quelque chose, non pas qu’il va réussir, mais en tout cas qu’il y aurait une tentative de réorganiser véritablement l’exécutif et la répartition des postes.
Toutefois, les ministères régaliens tels que l’Intérieur, la Justice, l’Économie, les Finances, les Affaires étrangères, la Défense et, d’une certaine manière, l’Éducation nationale sont de très grands postes. Ils seront les plus analysés et les personnalités qui obtiendront ces postes donneront le la. Nous verrons si Emmanuel Macron est toujours dans la capacité de capter des personnalités de différents partis politiques pour imposer son hégémonie, ou s’il ne trouve que des technos. Ce pourrait être le signe que certains veulent jouer leur chance et qu’il serait déboulonnable en 2022.
Donc, la première question de ce remaniement est : des technos ou des politiques ? La seconde porte sur la répartition des administrations entre les différents ministères. Voilà ce qu’il faudra analyser, sans doute, la semaine prochaine.

Guillaume Bernard
Guillaume Bernard
Politologue et maître de conférences (HDR) de l’ICES

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