Gilets jaunes : une révolte ou une révolution ?

Prise de la Bastille

Ce samedi, les gilets jaunes ont manifesté, non seulement à Paris, mais aussi dans plusieurs villes de province. Des scènes d'émeutes se sont produites, menées par des professionnels de la casse et des manifestants désespérés de n'être pas entendus. C'est un sentiment de révolte qui se développe et pourrait bien déboucher sur une révolution, si nos gouvernants restent déconnectés de la réalité.

Le soutien apporté aux gilets jaunes par les partis d'opposition n'est pas simplement politicien : ils ont compris la nature de cette révolte populaire, qui traduit un refus du présent et une inquiétude pour le futur. Seul le gouvernement fait preuve de cécité. Il se dit prêt au dialogue, mais répète à l'envi, comme Benjamin Griveaux, ce dimanche matin, qu'il ne changera pas sa politique, "parce que le cap est bon".

À force de répéter qu'il ne reculera pas, de miser sur le pourrissement du mouvement, de croire qu'il a forcément raison, Macron donne aux Français des motifs supplémentaires de se révolter. De retour d'Argentine, il a fait une opération de communication en rendant visite aux commerçants vandalisés. Les gilets jaunes qui le sifflaient et le huaient étaient soigneusement tenus à l'écart. Il se serait grandi s'il avait eu un mot à leur intention : la grandeur d'un président de la République se mesure aussi à sa capacité d'écouter le peuple, non à être un chef de caste et de parti.

Emmanuel Macron a ensuite tenu une réunion de crise avec Édouard Philippe, Christophe Castaner, Laurent Nuñez et François de Rugy. Ils pourraient, selon Benjamin Griveaux, décider de mesures comme l'instauration de l'état d'urgence, tout en essayant de reprendre le dialogue avec les gilets jaunes. À l'issue de cette réunion, aucune déclaration n'a été faite.

Un collectif de gilets jaunes a publié, dans le JDD, un appel où ils proposent d'être "les porte-parole d'une colère constructive" et présentent un certain nombre de revendications : états généraux de la fiscalité, adoption du scrutin proportionnel pour les élections législatives. Dans l'immédiat, ils demandent notamment le gel de la hausse des taxes sur les carburants. Si l'on peut s'interroger sur la représentativité de ce collectif, on constate que ces revendications dépassent largement le cadre de la fiscalité écologique.

Au-delà de la question du prix des carburants, des taxes toujours plus nombreuses, la majorité des Français ne se sentent plus représentés par une Assemblée nationale où domine un groupe de députés élus par un mode de scrutin injuste, qui, sauf exception, se contentent d'être les porte-voix du gouvernement. Est-il étonnant que le courant ne passe pas avec leurs électeurs ? La dissolution de l'Assemblée, réclamée par certains gilets jaunes, assortie d'une véritable proportionnelle, n'est pas dénuée de fondement. Des compromis seraient sans doute nécessaires pour obtenir une majorité, mais cela vaut mieux qu'une majorité artificielle.

Tant que Macron ne reconnaîtra pas que ce soulèvement, soutenu par une grande partie de la population, est plus qu'une protestation contre des mesures incomprises, il ne pourra pas régler durablement le problème. Le mouvement des gilets jaunes traduit une crise de notre système politique, une crise de la démocratie. Si nos dirigeants n'en tiennent pas compte, ce n'est pas à une simple révolte qu'ils seront confrontés : c'est à une révolution.

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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