Gilets jaunes : cette France, c’est la nôtre et nous l’aimons !
Des minutes interminables sous les projectiles, dans le fracas des explosions, sans issue respiratoire convenable à proximité... Dans une mêlée où courage et lâcheté côtoient ferveur et ivresse, tout l'homme se trouve condensé. Au milieu des mouvements de foule parfois dangereux, de scènes honteuses, de gestes imbéciles, il faut savoir reconnaître des gestes courageux et des attitudes exemplaires. De beaux moments de cohésion et de fraternité peuvent même naître dans ces moments avec des individus que l'on ne reverra probablement jamais, à moins qu'une nuit en garde à vue ne permette quelques retrouvailles.
Cette fois, pourtant, la révolte est sérieuse. Des forces de l'ordre littéralement lynchées dans des rues adjacentes, des barrages bousculés puis franchis, des gendarmes mobiles en fuite, des boucliers volés, des armes dérobées. Venus de toute la France, beaucoup ont en commun de n'avoir plus rien à perdre face à un pouvoir qui a, depuis longtemps, renoncé à toute limite.
À travers les visières, l'heure n'est pas aux sourires et aux politesses. La peur se devine et le ton des chefs se fait plus véhément que d'habitude. CRS et gendarmes savent mieux que personne ce qui se passe et l'inquiétude est palpable. Personne n'approche et l'usage des grenades lacrymogènes est permanent. Lorsque les Flash-Ball® tirent, des hommes tombent en face en hurlant de douleur. Traînés à "l'abri", les cordons de CRS qui s'ouvrent et se referment permettent leur prise en charge par les pompiers qui patientent derrière. Des grenades assourdissantes tentent de disperser les groupes trop compacts. Le vent tourne, les poumons brûlent et les yeux se ferment pour la troisième, la dixième fois...
Seuls quelques arbres ou lampadaires offrent des abris provisoires au milieu de ce champs de bataille. Se mélangent alors l'envie de fuir, le désir d'en découdre alimenté par le sentiment d'une rage que rien ne pourra plus arrêter et qui, en effet, se déversera jusqu'au soir envers l'insolente arrogance des quartiers perçus comme les plus privilégiés. Cependant, chaque samedi, une nouvelle étape est franchie et, cette fois encore, on se dit que l'on est vraiment passé à deux doigts d'un drame, que l'on a atteint un paroxysme. Cette fois encore, un seuil vient d'être franchi. Jusqu'où ?
Se plonger au cœur de l'actualité insurrectionnelle qui était celle de ces samedis est, néanmoins, une expérience irremplaçable. Plus violente, plus bruyante et plus déterminée chaque samedi, la foule qui fait face aux forces de l'ordre présente des visages très variés. Casseurs, militants politiques violents ou écrasante majorité de gilets jaunes "M. Tout-le-Monde" déterminés et de bonne foi, tous se fédèrent très vite en réaction aux manœuvres souvent incompréhensibles des forces de l'ordre. Tantôt courageuse, tantôt dangereuse, parfois veule, cette foule réfléchissante et fluorescente donne une image dont on peut penser ce que l'on veut, mais qui a une réalité : celle de gens qui souffrent et qui ne sont pas venus de province, dans des conditions pécuniaires et logistiques souvent compliquées, par plaisir.
Il s'agit de la France populaire et des classes moyennes, celle qui s’appauvrit. Autrement dit, il ne s’agit pas de la France de la grande bourgeoisie ou de la grande pauvreté. C’est la France qui travaille et qui voudrait pouvoir en vivre. On y trouve des ouvriers, des salariés, des petits cadres au chômage, d’anciens petits patrons, des artisans, des professeurs, des fonctionnaires. Les gilets jaunes, ce sont des gens qui voient les choses empirer pour eux, mais surtout pour leurs enfants et leurs proches. Ils se disaient : "Demain, on va s’en sortir." Maintenant, ils se sentent pris dans un terrible engrenage et savent que demain sera pire.
Cette France, c'est la nôtre et nous l'aimons !
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