La France n’est pas mûre
Le culte de Macron qui s’empare des médias et, ici même, d’auteurs respectables comme Philippe Bilger va probablement durer aussi longtemps que durent les amourettes adolescentes. Au terme de macronlâtrie, je préfère celui de macronolâtrie, qui contient la notion de « chronolâtrie », néologisme utilisé en son temps par Maritain et qu’il définissait comme "une fixation obsessionnelle sur le temps qui passe".
Le vieux philosophe du Paysan de la Garonne ajoutait : "Être dépassé, c'est le schéol. Est-ce qu'un auteur dépassé a pu dire quelque chose de vrai ? Après tout, ce n'est pas inconcevable ; mais ça ne compte pas, parce que, étant dépassé, ce qu'il a dit n'existe plus. Cette chronolâtrie entraîne de vastes sacrifices humains, en d'autres termes elle comporte une composante masochiste. […] Sous une forme ou sous une autre, c'est toujours l'adoration de l'éphémère, soit pour être dévoré par lui, soit pour accepter les yeux fermés ce qu'il a engendré."
Que n’aurait-il dit, aujourd’hui, des médias et des politiques ?
La fixation obsessionnelle sur le temps qui passe fait oublier à trop de commentateurs l’élémentaire hauteur philosophique qui permet de relativiser les questions d’actualité. Il résulte de cette frénésie chronolâtre non seulement un manque de discernement et de capacité d’analyse mais, surtout, elle nous oblige à rester figés sur les petites histoires qui font le beurre des médias.
À cette hauteur de vue, et quand on ressasse les événements qui ont marqué notre Histoire (grande et petite) ces dix dernières années, on réalise que ce que vit la France répond à une logique méta-historique. En d’autres termes, une partie grandissante de la France répond à sa vocation. Des voix se sont élevées, quelques barrières sont tombées, d’autres se sont dressées, des partis politiques se sont effondrés.
Dans les temps hyper-médiatiques que nous vivons, personne n’échappe à cette maladie chronolâtre. Un œil fixé sur les statistiques, l’autre sur Facebook ou Twitter, les écrans tiennent en laisse nos neurones.
Où est l’urgence ? Comme le dit très justement Christophe Guilluy sur Causeur.fr, le processus politique en cours est un processus lent né il y a 25 ans (Macron avait alors 14 ans) et il n’est pas près de s’arrêter.
On sera tous d’accord ici pour dire que la France décline, mais pour être née au XIIIe siècle, je peux vous dire qu’elle n’a jamais cessé de dégringoler depuis la décadence scolastique et la Renaissance.
Je reviens de Bretagne, où des amis m’ont fait découvrir le chantier de la Vallée des Saints, qui est une colline. Ce chantier de granit fascinant dont personne ne parle m’a plongé dans un abîme de méditation sur le temps qui passe.
Que pèseront, dans quelques décennies, dans quelques siècles, les grimaces crispées du très stalinien commissaire Aphatie face aux géants de granit bretons de plusieurs tonnes à côté desquels les statues de l’île de Pâques sont de pâles figures païennes ?
Que pèseront les rires sardoniques du très hystérique Ruquier face à l’armée des saints Erwan, Eodez, Kaduan et autres Riwanon de quatre mètres de haut qui seront 100 en 2018 ?
Aphatie et Ruquier ? Un « pouvoir en secondes », aurait dit Céline.
Le chronolâtre moderne, qui vit dans l’adoration de l’éphémère, dit « tout, tout de suite, où je veux, quand je veux ».
À en juger d’après les réactions « droitistes » de certains analystes ou critiques de ce bord-ci de l’appareil médiatique, on doit admettre que la France n’est pas encore mûre. Pour retrouver son âme perdue ou momentanément oubliée, il faut qu’elle souffre encore. Il faut, comme je l’ai déjà dit, « boire Macron jusqu’à la lie ».
Alors, mais alors seulement, des forces venant de droite ou de gauche mais ne se revendiquant ni de droite ni de gauche pourront se coaliser pour une véritable reconquista, une reconquête des cœurs qui, au train où vont les choses, pourrait aboutir en quelques années. Alors la France tombera comme un fruit mûr dans les mains de « celles et ceux » qui auront eu la patience d’attendre.
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