Festival d’Avignon 2019 : la culture ministérielle remplace l’art

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Le Festival d’Avignon débute ces jours-ci et la presse subventionnée s’empare d’un festival qualifié de plus grand du monde, avec ses meilleurs moments de culture annoncés. Laissant Le Monde Libéré par Télérama, j’en ai pris deux au hasard…

D’abord Le Point, qui a décidé de présenter brièvement quinze spectacles du Off, qualifiés de « quinze pépites », mais sélection dans son esprit très correcte et sans surprise : on y souligne avec force les Molière obtenus au cours de la grande soirée parisienne du théâtre, cela va du spectacle sympathique et déjanté, comme disent les critiques de la télévision, aux sempiternelles adaptations — même En attendant Bojangles, roman publié par un petit éditeur du Sud-Ouest, et immense succès public, y a droit — ou au nouveau solo d’Andréa Bescond, après son succès sur les violences sexuelles faites aux petites filles, adoubé à Paris par Mmes Macron et Schiappa.

Ensuite L’Express, qui préfère s’adresser aux spectateurs maso-culturels voulant faire partie de l’élite du In, enseignants, cultureux divers, écolo-bio-bobos, fonctionnaires des DRAC ou comédiens branchés, et nous rappelle que ce festival ministériel est le summum du culturellement correct au théâtre. Et cette année, on ne faillit pas à la règle. Après le rejet de l’autre, la montée du fascisme et du populisme, le florilège LGBT, l’Europe sera au centre de la programmation. Les artistes officiels « se penchent sur le Vieux Continent pour critiquer et réinventer le projet européen ». On croirait entendre un discours récent du Président qui se veut le champion de la reconstruction européenne ultralibérale, avec Christine Lagarde à l’innovation et Ursula von der Leyen à l’insolence !

Dans la cour d’honneur, où jouera Stanislas Nordey, le gendre de Jack Lang, les festivaliers culturels auront l’immense bonheur d’assister à Architecture, de l’auteur ministériel Pascal Rambert. L’histoire, qui se passe entre les deux guerres, comme il se doit, sur fond de montée du nazisme, est présentée ainsi : « L'Europe du XXe siècle, traumatisée par les guerres et le nationalisme, sert de toile de fond à cette fresque écrite à même le corps et la voix d'acteurs exceptionnels [...] Ils incarnent les membres d'une famille d'artistes, de philosophes, de compositeurs qui ne vont pas réussir à éviter le naufrage de leur monde. Même face à l'imminence de l'horreur, ils ne parviendront pas à s'unir pour changer le cours du temps. »

Alors, gare ! Faisons de l’Europe unie et reconstruite, cette fois ! Comme dans l’URSS de Staline, l’artiste officiel, le fonctionnaire créateur, convoqué par le majordome Olivier Py, se doit de porter la propagande de son maître. Hier, celle du « Bi-Président » Sarkhollande, aujourd’hui celle du Président en même temps Macron en marche. Il s’agit de glorifier l'Europe, à la ville, en tant que salut unique face à la guerre qu’engendrent les populismes, et à la scène, face à un public où le peuple populiste n’a pas sa place réservée. Être plus politiquement correct qu’Olivier Py, c’est impossible ! Il est plus ministériel que le ministre ! S’il n’avait pas existé, le ministère l’aurait inventé ! Olivier Py, c’est le dictionnaire des idées conformes, c’est la culture contre l’art, l’art authentique et la liberté de créer.

Mais le must, comme disent les branchés du Festival, se préparait ces derniers jours à Perpignan, sur les planches du théâtre de l'Archipel, Scène nationale, circuit ministériel oblige, où, écrit L’Express, "onze individus, disposés en arc de cercle devant un immense écran, débattent fiévreusement de l'immigration, de la justice sociale et des racines judéo-chrétiennes du Vieux Continent. Roland Auzet et sa troupe répètent Nous, l'Europe. Banquet des peuples, l’adaptation (et une de plus !) d'un poème signé Laurent Gaudé, l'une des pièces les plus attendues au prochain Festival d'Avignon. Notamment parce que, chaque soir, un dirigeant politique de stature internationale sera interpellé, sur scène, par les acteurs au sujet de l'état de l'Union et de son avenir ; (pas un partisan du Brexit ou un euro-sceptique, non) François Hollande, Pascal Lamy et l'ancien président du Conseil des ministres italien Enrico Letta ont répondu présent. Les questions ne leur ont pas été transmises à l’avance."

On tremble. Le suspense est à son comble… Et qu’il en a de la chance, le spectateur maso-culturel ! En plus de l’adaptation au théâtre du poème d’un auteur ministériel, et après Taubira en 2017 sur la démocratie, il aura Hollande sur l’Europe.

Ne dit-on pas que la théâtrocratie est au pouvoir ?

Jean-Pierre Pélaez
Jean-Pierre Pélaez
Auteur dramatique

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