Dreyfus nommé général ? Bonne ou mauvaise idée ?
Le ministre des Armées, Florence Parly, l’a subodoré dans son discours du 21 juillet à l’occasion de la cérémonie du souvenir de la rafle du Vel' d’Hiv'. « 120 ans plus tard, il est encore temps que les Armées redonnent à Alfred Dreyfus tout l’honneur et toutes les années qu’on lui a ôtés. Et j’y veillerai personnellement. » À demi-mot, elle évoque le fait que les douze années hors des rangs et ses quatre années passées injustement sur l’île du Diable auraient ralenti l’ancien capitaine dans sa carrière.
De manière factuelle, le ministre des Armées a tout à fait raison. Le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935) a vu sa carrière brisée et l’ancien polytechnicien (promotion 1878) qu’il était aurait sans doute pu, à la faveur d’un parcours moins perturbé que le sien, décrocher les étoiles. Participant à la Première Guerre comme chef d’escadron de réserve et commandant le parc d’artillerie de la 168e division, il est promu lieutenant-colonel en septembre 1918 et obtient la rosette de la Légion d’honneur le 9 juillet 1919[1].
Dreyfus aurait-il pu devenir général ? Très certainement, tant il est vrai que de nombreux soldats issus de l’X ont réalisé une belle carrière militaire : les promotions de 1871 et 1873 donnent chacun un maréchal de France, d’abord Foch et ensuite Fayolle ; celles de 1874 et 1876 des généraux (Curmer, Bourgeois, Nivelle). La promotion de 1879 donne le général Jean Estienne (1860-1936), le père de l’arme blindée, et le général de division Pierre de Laguiche (1859-1940).
À l’inverse, tous ceux qui ont fait Polytechnique et même Saint-Cyr n’accèdent pas forcément au grade d’officier général. Les exemples sont nombreux : ainsi Henri Bourgoignon (1857-1946), promotion 1880, ne termine sa carrière qu’au grade de lieutenant-colonel. Le compagnon de route de Dreyfus, Philippe Bunau-Varilla (X 1878), n’atteint que celui de commandant. Que dire de Camille Mortenol (1859-1930), premier « nègre », comme on disait à l’époque, à intégrer l’X (promotion 1880) ? Il a terminé sa carrière comme capitaine de vaisseau puis colonel de réserve dans l’artillerie. Aurait-il pu, lui aussi, le fils d’esclave affranchi, décrocher les étoiles de contre-amiral ou de général de brigade ?
Car là est tout le problème. Faut-il revenir sur l’Histoire, la revoir, la réviser ou la revisiter à l’aune de nos grilles d’analyse contemporaines ? Faut-il réparer maintenant toutes les injustices qui ont été faites à titre individuel et collectif il y a 120, 200, 300 ou mille ans ? Jusqu’où aller ? Faut-il constamment faire acte de repentance, s’auto-flageller et demander pardon de nos mauvaises postures et décisions d’antan ? Dans quel but ? Avec quel effet final recherché ? Comme on dit dans l’armée : « Où est la limite gauche ? », « Où est la limite droite ? » Dans ce cas, pourquoi ne pas décorer tous ceux qui sont morts et qui l’auraient mérité, qu’ils soient civils ou militaires ? Pourquoi ne pas promouvoir le capitaine Guynemer, trop tôt disparu, au grade de commandant (au moins !). Pourquoi ne pas réhabiliter une fois pour toutes Louis XVI ? Elton John vient de recevoir la Légion d’honneur : pourquoi pas Claude François, disparu depuis plus de 41 ans, ou Serge Gainsbourg (1928-1991), qui continuent de vendre des albums par milliers ?
Certes, Alfred Dreyfus reste le symbole d’une grande injustice. Il a été réhabilité. Le nommer général à titre posthume serait peut-être mérité. Il faudrait en débattre. Attention, cependant, de ne pas ouvrir la boîte de Pandore et (re)créer d’incontrôlables précédents sujets à de stériles polémiques.
Quitte à pousser le bouchon encore plus loin, pourquoi, finalement, ne pas accorder la dignité de maréchal de France au général de Gaulle et contrevenir à ses dernières volontés ? On a bien contrevenu à celles du maréchal Pétain qui voulait être enterré à Douaumont ! Il est vrai qu’Histoire, justice et politique ont parfois du mal à cohabiter…
[1] Source : dossier de la Légion d’honneur d’Alfred Dreyfus sur la base Léonore du ministère de la Culture (http://www2.culture.gouv.fr/documentation/leonore/NOMS/nom_00.htm)
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