Dans la plus stricte intimité

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On n’en est pas encore à enterrer les morts nuitamment, comme se fut le cas pour Louis XV mais ça va peut-être venir. Dans le Morbihan, coronavirus oblige, ordre du préfet, jusqu’au 14 mars (pas le 13, ni le 15, mais le 14), l’interdiction des rassemblements s’est traduite par l’interdiction des messes et autres célébrations publiques. « Les obsèques ne seront célébrées qu’en présence de la famille du défunt et du cercle des plus proches », précisait le diocèse de Vannes, la semaine dernière. « Quant aux mariages et baptêmes, ils ne seront célébrés qu’en présence des familles », lisait-on, dans Ouest-France. On admirera la marge de sécurité : le gouvernement interdit les rassemblements de plus de 5.000 personnes, le préfet interdit tous les rassemblements. Qui peut le moins, peut le plus. Le principe de précaution, c’est quelque chose, tout de même.

Mardi dernier, dans le pays de Ploërmel, toujours dans le Morbihan, à Taupont, commune de deux mille et quelques habitants, avaient lieu les obsèques d’un certain Denis Tancray, personnalité localement connue pour son engagement dans le milieu associatif. Cas de conscience pour le maire de la commune. Prudent, il appelle les services de la préfecture. On lui répond de tout faire pour que la cérémonie se déroule « dans la plus stricte intimité ». Nous y voilà.

Car c'est quoi, au fait, la plus stricte intimité ? On me pardonnera de passer du corbillard à l’âne mais prenez, par exemple, l’affaire Griveaux (je sais, encore…). Au départ, la petite affaire devait se dérouler aussi dans la plus stricte intimité. Personne n'était prévu pour tenir les cordons du poêle. Enfin, on imagine que c’était le concept, à la base. En revanche, nous avons eu écho de réunions publiques, dans le cadre des élections municipales, qui devaient réunir tout un tas de monde et, au final, qui se sont déroulées dans la plus stricte intimité. Compliqué, tout ça. C’est un peu comme quand on lance des invitations pour un coquetel. Commander trop de petits fours, c’est gâcher la marchandise. Pas assez, c’est le four et la fête est gâchée. Mais on s’éloigne du sujet.

Mariage dans la plus stricte intimité : parce qu’il est précipité pour la raison qu'on imagine, parce que l’un des époux sort d’un veuvage récent, parce que mésalliance, parce que ci, parce que ça…  Comme une sorte de parfum désuet qui nous ramène à l’époque de Papa, Maman, la bonne et moi, pour ne pas dire à celle de Balzac. Et puis, on connaît des familles qui alignent des fratries de huit enfants et plus. Avec les conjoints, comme on dit laidement aujourd’hui, les petits-enfants, etc., on arrive vite à la centaine, voire plus, à suivre le corbillard… Plus de monde, en tout cas, qu’à l’occasion de la messe dominicale en beaucoup de lieux. On fait quoi alors ?

Et le « cercle des plus proches », comme précisé par le diocèse de Vannes, c’est quoi exactement ? La voisine de palier peut venir, pas celle du dessus ? L’art de prendre des décisions carrées aux contours ronds. Mais au fond, c’est rassurant, on se dit qu’on est encore en France. Dieu merci, si j’ose dire, les courses dans les grandes surfaces - mais je crois qu’on l’a déjà dit dans ces colonnes - ne sont pas encore limitées à la plus stricte intimité.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 19/03/2020 à 10:54.
Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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