Contre l’UNEF : Jean-Michel Blanquer est-il un miraculé en voie de guérison idéologique ?

Blanquer

« Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion », gémit le psalmiste. Jean-Michel Blanquer a mal commencé dans la vie : dans la peau d’un exilé mémoriel pour n’avoir pas connu la terre des ancêtres. Son père, Roland Blanquer (1924-2010), avocat au barreau d’Alger, lieutenant-colonel de réserve, cité en 1959, était de ces pieds-noirs qui, dans l’exil, ont gardé au cœur la blessure de la patrie perdue et se sont dévoués, jusqu’au bout, pour les rapatriés déracinés de l’Algérie française.

Est-ce un hasard du calendrier ? Ce vendredi 19 mars – rappel de l’autre 19 mars de sinistre mémoire –, Jean-Michel Blanquer s’exprimait sur BFM TV dans « Bourdin Direct ». Passons sur son discours d’autosatisfaction, sans doute caractéristique du variant LREM du coronavirus dont semblent porteurs tous les membres du gouvernement qui courent de plateau en plateau pour annoncer leur réussite, et venons-en aux dernières minutes de l’échange.

À la question de savoir si l’interdiction de Blancs ou de femmes lors de certaines réunions de l’UNEF était un « acte raciste », le ministre a clairement répondu par l’affirmative en jugeant le procédé « profondément scandaleux », rappelant l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Ça signifie qu’on ne distingue pas les gens en fonction de la couleur de leur peau, c’est une absurdité. Les gens qui se prétendent progressistes distinguent les gens en fonction de la couleur de leur peau, nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme. C’est extrêmement grave. Donc, soit ils le font de bonne foi, si je puis dire, en pensant bien faire, alors qu’ils font une chose folle, soit ils ont des projets politiques qui sont gravissimes, qui fragmentent la société, qui divisent les gens entre eux, en fonction […] (sic) alors que la République, c’est le projet inverse. La République, c’est qu'on se fiche de la couleur de la peau des gens ; ce qui compte, c’est d’être citoyen de France. »

Acquittons le ministre pour sa comparaison anachronique de l’indigéno-racialisme et du fascisme – totalitarisme aurait mieux convenu – et retenons que Jean-Michel Blanquer a jugé le fait condamnable et a dit réfléchir « à d’éventuelles évolutions législatives » pour empêcher des réunions racistes sous couvert du mot « racialisé ». Après la dissolution à peu de frais de Génération identitaire – mouvement sans appui dans la sphère politico-médiatique de pouvoir –, s’en prendre à l’UNEF, pouponnière des partis de gauche, et à ses réseaux est autrement difficile. Pourtant, les faits de « non-mixité », avoués quelques jours plus tôt, sur Europe 1, devant le micro de Sonia Mabrouk, par la présidente du syndicat, Mélanie Luce, ne sont-ils pas l’expression d’une ségrégation ? Et ne devraient-ils pas appeler à sanction immédiate, sans tergiverser ?

Mais Jean-Michel Blanquer le peut-il ? Et le veut-il vraiment ? À la fin de l’interview, il a cru bon de rappeler que son « projet politique » était le « projet républicain » – ce qui, en soi, ne veut rien dire – qui expliquait son « adhésion au projet politique d’Emmanuel Macron dès 2017 », dont le but serait de dépasser les clivages pour « unir la société ». Le problème est bien là. En 2018, Jean-Paul Gavino l’apostrophait dans une lettre ouverte, exhumant l’engagement de ses parents pour leur communauté meurtrie et auprès des harkis ; il lui rappelait aussi le Jean-Michel adolescent qui chantait « Moi je suis né pied-noir ». Avant de s’indigner de ses compromissions, jugées carriéristes, auprès d’un Emmanuel Macron insultant leur mémoire à Alger. Prétendre unir les inconciliables sociétaux dans le grand écart idéologique du « en même temps » est une impasse ou une escroquerie.

Et pourtant, les discours récurrents de Jean-Michel Blanquer contre un islamo-gauchisme qui ravagerait l’Université, l’UNEF ou La France insoumise, comme son soutien récent à Frédérique Vidal sur ce dossier, paraissent le frémissement de sa prise de conscience tardive d’un mal dont il aurait refusé de voir la progression durant trente ans d’expérience universitaire et de gestion du système enseignant. Au moins a-t-il posé les mots. En attendant des actes…

Pierre Arette
Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

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