Compteur Linky : oui, la révolte est irrationnelle, mais elle a de bonnes raisons
Un excellent papier de Gérard Couvert a démonté une à une - et bien mieux que les liasses de documents qu'envoie Enedis aux abonnés opposés au changement de compteur! - les critiques qui fondent le refus du compteur Linky. En gros, cette petite boîte ne vous fera pas plus de mal, et certainement moins, que toutes celles que vous avez déjà dans votre maison, comme votre ordinateur, votre téléphone portable ou votre vieux compteur électrique lui-même, tous objets que vous adorez comme des dieux. Et elle présentera même quelques avantages. Mais alors, au pays de Descartes, comment expliquer cette révolte anti-Linky ?
En fait, cette révolte aussi forte qu'inexplicable pour un ingénieur repose sur des raisons solides, mais en grande partie inconscientes ou inavouables. Et ces raisons imparables sont, dans le désordre de l'inconscient collectif : Hulot, cambriolages, migrants, et Marine Le Pen ! Rien que ça !
D'abord, donc, l'aspect électricité-transition énergétique, le plus proche du sujet. La raison Hulot. Ou plutôt la contradiction Hulot : il était contre le Linky, il est pour ; il était contre le nucléaire, il cautionne la vente de réacteurs à l'Inde. On peut comprendre que cela trouble « les gens » - très nombreux - qui accordaient un certain crédit à cette personnalité. Et que ce trouble, ce dépit viennent s'exprimer contre ce pauvre compteur Linky, symbole de la puissance d'EDF, des mensonges écologiques et politiques de M. Hulot et du gouvernement. Le Linky, dans l'inconscient des opposants, c'est un peu le dernier produit dérivé de la marque Hulot-Ushuaïa, et c'est le produit de trop.
Ensuite, les cambrioleurs. Ma rue a été l'une des plus cambriolées de la ville, c'est aussi l'une des plus farouchement opposées au Linky. Le même ingénieur cartésien me dirait : et alors ? Le refus du Linky est d'abord le refus qu'on pénètre dans ma maison pour y modifier des choses et, même si c'est un fantasme, m'y espionner, prélever des données. Je suis chez moi et vous n'avez pas le droit. Propriété privée. Le Linky permet à des millions de Français de dire cela. On peut trouver ça puéril, irrationnel, mais c'est profondément humain.
Pour les migrants, la raison est bien plus inconsciente, évidemment. Puisque la France et l'Europe ont été déclarées « villes ouvertes » à l'accueil inconditionnel, et que toute opinion opposée est aussitôt suspectée, vilipendée, criminalisée au nom du « vivre ensemble », le citoyen ne peut plus dire son refus et sa révolte que s'ils sont dirigés contre un objet impersonnel, déshumanisé, installé par un grand groupe opaque qui en délègue, en plus, la pose à des sous-traitants inconnus. Au moins, face au Linky d'EDF, on ne nous traitera pas de raciste, d'islamophobe, etc. Là, au moins, on ne nous reprochera pas de manquer d'humanité. Là, la révolte est possible.
Pour Marine Le Pen, même raisonnement.
Les écolos gauchistes opposés au Linky crieront que c'est du n'importe quoi, mais il suffit d'observer un peu la géographie et la sociologie du refus populaire du Linky pour comprendre. D'ailleurs, je n'ai rationnellement rien contre le Linky, mais j'ai dit non, car des motifs de me révolter, j'en ai beaucoup. Le Français est cartésien, mais il est aussi un peu écolo, un peu identitaire, un peu révolté, un peu complotiste, un peu « on est chez nous, quoi » - un peu humain, tout simplement. Et Linky est l'exutoire à toutes ces révoltes. Linky voulait « créer du lien ». C'est gagné !
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