Cinéma : Edmond, d’Alexis Michalik

On peut dire bien des choses, en somme, pour décrire le film d’Alexis Michalik.

La pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, commençait par une description très précise, à destination du metteur en scène, d’un théâtre de l’Hôtel de Bourgogne à Paris. À l’instar, Alexis Michalik présente, lui, au spectateur, le Paris haussmannien de la fin du XIXe siècle avec une minutie certaine : on retrouve les mêmes tons de couleur rouge brunâtre vif si singuliers à ceux de la Belle Époque.

La scène se passe en 1897. Edmond Rostand n’enchaîne que les fours, échecs mis en contraste par le succès de son fringant rival Feydeau. Coquelin, acteur renommé, lui donne deux semaines pour lui tailler un rôle dans une comédie.

C’est cette aventure de l’écriture qu'Alexis Michalik réussit à porter à l’écran. On y voit un thème universel, celui de la création d’une œuvre. Tout le monde a déjà subi l’angoisse de la feuille blanche, l’incertitude de la mise en place d’un projet, l’euphorie d’une petite réussite et l’aboutissement final, la joie de la concrétisation des efforts donnés. C’est avec une caméra virevoltante qui transmet cette frénésie du processus de création de Cyrano de Bergerac qu’Alexis Michalik décrit ce thème. Les plans sont soigneusement composés, comme cette scène où il ne reste qu’une nuit à Edmond pour terminer la pièce. Tel un bagnard cadenassé à son bureau au milieu des sièges vides du théâtre, on devine l’intensité de son travail et de ses errements à l'aréopage de feuilles de papier qui l’entourent.

Le spectateur s’amusera à voir des scènes qui lui sembleront peut-être familières. Celui qui a organisé un spectacle pour une kermesse, conduit une veillée scoute ou dû monter un spectacle sur les planches se retrouvera dans ces scènes spécifiques à l’élaboration d’une pièce : la troupe qui découvre au dernier moment que les textes ont changé, les bâtons dans les roues mis par l’administration du théâtre, le manque de figurants, l’applaudissement général final forment autant de détails qui rendent encore plus vrai ce film.

Pour les amateurs du truculent héros au nez protubérant, rassurez-vous, on retrouve avec joie les saillies verbales de ce Gascon. Alexis Michalik semble rendre accessible cet hommage, en jouant sur les clichés bien connus de tous. La fameuse « tirade du nez », à laquelle Alexis Michalik ne pouvait pas passer à côté, étant devenue cultissime, tel le « élémentaire mon cher Watson » pour Sherlock Holmes, est soigneusement insérée dans le film, déclamée par Edmond Rostand de façon hasardeuse à l’improviste, prenant pour inspiration les objets que croisent son regard.

On évite ainsi l’écueil qu’aurait pu toucher ce film, à savoir devenir une sorte de théâtre filmé. Au contraire, le réalisateur nous donne à vivre cette pièce puisque les protagonistes éprouvent en dehors des planches les mêmes intrigues et sentiments que dans Cyrano, œuvre alors en gestation. Edmond est, par exemple, épris d’une Roxane, Jeanne d’Arcy. Subtil jeu de va-et-vient entre la scène et l’intrigue générale du film. Le spectateur est aussi immergé dans les rouages de la pièce, les coulisses (côté jardin et côté cour), les levers de rideau rythmés, les loges, les habilleuses, etc.

Mais c’est aussi avec un plaisir indicible que nous pouvons redécouvrir ce trésor intemporel national qu’est Cyrano de Bergerac. La pièce a connu un succès tel qu’elle a éclipsé l’écrivain du XVIIe siècle dont elle s’est inspirée, Cyrano de Bergerac, auteur notamment de l'Histoire comique des États et Empires de la Lune. Elle est la plus jouée en France, aussi bien sur les planches de la Comédie-Française que sur les tréteaux des écoles rurales. Alexis Michalik, qui parvient à suspendre le temps à la fin de son film, quand Cyrano adossé à son chêne s’apprête à mourir, veut faire revivre cette frénésie qu’a suscitée, en 1897, ce chef-d'œuvre.

Pas de doute, à la fin de l’envoi, Edmond fait mouche.

Jean Bexon
Jean Bexon
Journaliste

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