Art contemporain : des étrons dans la ville !

Je sais comme il est difficile, en ces temps d’engouement pour la photographie, d’accrocher le regard. Ils sont bien loin, désormais, les Doisneau, Ronis, Cartier-Bresson, Sieff, Ray, Brassaï et compagnie. Les rois de l’argentique ont été détrônés par Photoshop, le numérique a remplacé l’œil défaillant, le Dibond vous glace le portrait en deux millimètres d’épaisseur et Mamie s’affiche sur les sets de table à l’heure du déjeuner. Bref, pour être connu et reconnu, il faut y mettre le paquet. Et parfois un paquet nauséabond.

Déambulant, ce week-end, dans une rue piétonne du 14e arrondissement de Paris, j’ai buté sur un panneau pour le moins accrocheur :
« Je chie donc je suis »
Exposition d’art contemporain

Suivait l’adresse. Vous connaissez ma curiosité. Je m’y suis rendue. J’ai vu : 357 photographies de merde de chien sur les trottoirs et les murs de Paris. En couleur, c’est mieux.

J’avais espéré, un instant, qu’il s’agisse d’une manifestation visant à dénoncer la saleté des rues de la capitale, mais non. Rien de cela. Une ravissante jeune femme à l’accent canadien m’a ouvert la porte, puis détaillé son travail avec beaucoup de plaisir.

Toutes ces merdes sont l’œuvre de son seul chien. Un animal à pedigree qui, me dit-elle, n’aime pas se salir quand il défèque. Pour qu’on saisisse mieux le travail de l’acrobate, elle l’a aussi filmé et diffuse la vidéo au sous-sol de la galerie. De fait, la bestiole lève la patte arrière gauche pour plus de commodité, se colle l’arrière-train contre le mur, ou la porte, ou le réverbère, ou le tronc d’arbre, etc., et dépose son obole. Sa maîtresse le félicite et s’empresse d’immortaliser le chef-d’œuvre.

Je questionne : "Comment se fait-il que votre toutou ne produise que des crottes jaune safran ?" "C’est à cause des croquettes Machin", me dit-elle. Elle enchaîne : "D’ailleurs, j’ai dû lui faire suivre un régime pour éviter cela", dit-elle en me désignant une jolie traînée jaune sur une porte cochère. Je lui demande si elle emporte un arrosoir avec son appareil photo, histoire de nettoyer les dégâts. Non, bien sûr. Au moins le changement de croquettes a-t-il été efficace : les photos suivantes montrent que la matière a changé de consistance.

J’ai demandé sa carte à Zoé Duchesne (c’est son nom), l’ai remerciée, puis grandement félicitée pour son originalité et son talent.

Je me demande si nos amis canadiens perçoivent le second degré : elle a tout gobé !

Retour chez moi, je suis allée me renseigner sur l’artiste. Mademoiselle Zoé court le monde, paraît-il, expose partout. Elle-même, surtout. En page d’accueil de son site, on peut voir la vidéo d’une de ses performances. Nue (il faut dire qu’elle a un corps magnifique, c’est au moins cela), elle s’entortille de scotch marqué "fragile", se barbouille largement la bouche et les tétons de rouge à lèvres et court la campagne avec une perruque blonde posée de travers sur ses cheveux corbeau. Il y a sûrement un message du type « Je vous conchie donc je suis » mais j’avoue que je n’ai pas tout compris…

Détail, en passant : Zoé Duchesne, qui se scotche à poil, n’est pas vraiment à poil. À bien y regarder, j’ai découvert qu’elle portait un collant. Une tricheuse, en somme.

Vous savez quoi ? J’ai vu pas mal de petits points rouges dans la galerie. Preuve que l’art merdique a du succès. Dommage qu’il n’y ait pas l’odeur avec !

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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