Alexandre del Valle : « J’espère que ce procès reviendra sur les manquements de nos dirigeants de l’époque »
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Alors que le procès des attentats du Bataclan débute ce mercredi, le politologue Alexandre del Valle s'exprime au micro de Boulevard Voltaire.
La France va juger les personnes ayant participé de près ou de loin aux attentats du 13 novembre 2015 qui ont coûté la vie à 130 personnes. Un procès sous haute tension et hors normes en termes de nombre de participants. Qu’attendez-vous de ce procès ?
Nous attendons d’en apprendre un peu plus sur les réseaux, les fonctionnements, les motivations et sur les différentes cellules pour pouvoir anticiper les prochaines fois. Ce qui est certain, c’est que la justice est très lente. Deux pays européens sont impliqués, la plupart sont des Belgo-Marocains, il y a également un Tunisien et deux clandestins, dont un arrivant de Syrie. Il y a donc des personnes de différentes nationalités ou ayant des doubles nationalités sur au moins deux pays européens et quatre ou cinq pays au niveau mondial.
Il y a un immense gâchis : peut-être que ces attentats auraient pu être évités si nous avions collaboré, à l'époque, beaucoup plus étroitement avec le régime syrien, sans forcément cautionner, bien sûr, la dictature et le profil de Bachar el-Assad. Un certain nombre des personnes qui vont être jugées, parce qu’ils sont là ou par contumace, figuraient sur une liste remise par les services syriens au ministère de l'Intérieur, sous François Hollande. Or, on n’en avait pas tenu compte car, jusqu'à l'arrivée de Macron, on refusait toute collaboration avec les méchants Syriens. Cela nous a fait perdre beaucoup d’énergie.
Par idéologie, on a négligé une menace. Est-ce une complicité passive de l’État ?
C’est plus complexe qu’une complicité. Je l’avais écrit dans Les Vrais Ennemis de l’Occident : à l’époque, sous Hollande, on était au summum de la diplomatie moraliste. Les deux méchants étaient la Syrie et la Russie. Tout était bon pour renverser le pouvoir de Bachar el-Assad, y compris parler des rebelles au lieu de les désigner comme islamistes qu'ils étaient et qui étaient pires que le régime, car liés aux Frères musulmans, au Qatar, et à la Turquie d'Erdoğan et même à Al-Qaïda qui est aussi dangereux, en Syrie, que Daech.
Le Président Hollande lui-même, comme de nombreux démocrates occidentaux, appelait à renverser Bachar el-Assad. Certains, comme les néoconservateurs ou démocrates américains, voulaient intervenir militairement. L'ensemble de l’Occident, excepté l’Espagne, voulait éradiquer un régime dictatorial accusé d’être trop proche de la Russie. Cela aurait permis à l'OTAN de gagner du terrain en Méditerranée et de faire perdre à la Russie le seul accès qu’elle a à la Méditerranée.
Imaginez les islamistes français ou ceux qui étaient tentés d’aller en Syrie. Ainsi, l’imam de Lunel a dit : « Comment voulez-vous nous demander d’empêcher les jeunes de partir en Syrie puisque les pays occidentaux et le Président Hollande disent que Bachar est une ordure qu’il faut dégager ? » Cela a créé un climat de légitimation du djihad contre Bachar et cela a contribué au phénomène.
Il a donc été difficile de collaborer avec les services syriens. Quoi qu’on pense du régime syrien, ce pays était l’épicentre de l’organisation État islamique et d’Al-Qaïda à partir duquel étaient organisés les attentats et formés ceux qui sont venus mitrailler nos jeunes sur les terrasses et au Bataclan. Il aurait donc été obligatoire que les États occidentaux collaborent un minimum avec les interlocuteurs sécuritaires du pays. On n'a pas voulu les écouter, c’est gravissime.
J’espère que ce procès reviendra sur les manquements de nos dirigeants de l’époque.
La deuxième leçon que l’on tire est que l’Europe n’est pas du tout efficace. Les membres du commando du Bataclan se sont enfuis, ils ont été contrôlés par la police du nord de la France, ils étaient déjà condamnés plusieurs fois par la justice et on avait des informations, en Belgique, au sujet de leur radicalisation. La Belgique avait transmis les condamnations pour faits de délinquance, mais rien sur leur radicalisation islamiste. C’est pareil pour la police grecque qui aurait pu arrêter un des membres du commando du Bataclan. Or, elle n’a pas eu les informations de la part de la Belgique. La Belgique a une énorme responsabilité, dans cette histoire. Il n’y a pas eu de collaboration entre les polices de plusieurs États européens qui arrivent à collaborer pour nous empêcher d’aller au ski ou pour des passes sanitaires européens ! Ils ne sont pas arrivés à collaborer au sujet des radicalisés fichés.
C’est donc plus particulièrement le procès des administrations de l’Europe et de la Belgique ?
C’est le procès d’un manquement des administrations européennes qui collaborent sur beaucoup de bêtises et retirent la souveraineté aux États sur des choses inutiles. Et sur la seule chose qui devrait être un domaine de coopération réelle, ils ne sont pas efficaces.
Par ailleurs, il y a aussi un échec énorme de la bureaucratie française. Il y avait la BRI, le RAID, la gendarmerie, les gardes mobiles. Les forces de police et de gendarmerie pouvaient intervenir et elles ont eu l’ordre de ne pas intervenir. Certains ont eu l'ordre de faire demi-tour pour revenir ensuite deux heures plus tard. Il y a eu un couac administratif, une rivalité entre les polices, entre la police et la gendarmerie, entre des ministres. Il y a eu énormément de manquements. J’espère que ce sera aussi le procès des incohérences, des lenteurs administratives et du manque de coopération entre différents corps de police.
Je n’accuse pas la police, c’est de la faute des politiques.
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