Alexandre del Valle : « Aujourd’hui, l’islam de France est inexistant, il y a une extrême division entre différents pôles de l’islam en France »

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Gérald Darmanin, qui se vante du nombre de mosquées fermées par le ministère de l'Intérieur et annonce travailler à une nouvelle organisation d'un « islam de France », est violemment critiqué par le CFCM (Conseil français du culte musulman). Un projet réaliste ? Réponse d'Alexandre del Valle, géopolitologue et essayiste, pour les lecteurs de Boulevard Voltaire.

Gérald Darmanin a vanté le nombre de mosquées fermées sur ordre du ministère de l’Intérieur. Le Conseil français du culte musulman a violemment critiqué le ministre. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?

Le gouvernement essaie de mettre sur pied un islam de France, mais il y a des réticences du côté du CFCM qui, d’un point de vue objectif, est l’islam des Frères musulmans et du Tabligh, association indo-pakistanaise, et surtout des Marocains, directement liés à l’État du Maroc, et des Algériens liés officiellement et structurellement à l’Algérie, ainsi que des Turcs liés à l’islam consulaire turc et au Millî Görüş. L’islam du CFCM n’est pas un islam de France mais un islam en France, qui importe des visions du monde différentes de celle de la République et de l’Occident, parfois totalement opposées, avec en filigrane une volonté de ne pas s’intégrer. Même au niveau de la mosquée de Paris, il y a des choses ambiguës. Récemment, le recteur de la mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz était en Algérie et s’exprimait au nom de la mosquée de Paris en disant : « Soyez fiers d’être Algériens, vive l’Algérie » et à aucun moment « vive la France » ! Les représentants de l’islam de France, ce sont des Marocains qui ont le cœur au Maroc et prennent leurs ordres au Maroc, des Algériens qui prennent leurs ordres en Algérie, des Turcs qui prennent leurs ordres auprès d’Erdoğan, et ce sont des Indo-Pakistanais qui prennent leurs ordres dans des centrales ultra-islamistes ayant malheureusement pignon sur rue dans plusieurs pays européens.

Vous soulevez le problème de l’ingérence étrangère.

Il y a une énorme ingérence étrangère assez problématique et on ne comprend pas que cela dure depuis autant de temps. En effet, le problème de l’ingérence étrangère est désigné depuis des années, même Sarkozy le faisait, et il ne s’est rien passé. Ce n’est pas le seul problème : les Frères musulmans, par exemple, jouent beaucoup sur le côté autochtone et se disent européens. Ils ont le Conseil européen pour la fatwa et la recherche à Dublin, une université formant des imams à Château-Chinon. Ils ne sont pas liés à un État en particulier et se disent persécutés par l’Égypte. Ils viennent d’Égypte, mais ils ont été émancipés de ce pays. Il y a deux problèmes : le problème de l’islam consulaire, un islam lié à des États voulant conserver leurs ouailles et leurs concitoyens et ont intérêt à ce que les gens soient pérennisés dans leur statut d’étrangers, ne s’assimilent pas trop aux mœurs impies et restent des électeurs.

De l’autre côté se trouve un islam moins lié à des États, mais il est souvent un islamisme radical, comme les Frères musulmans, le Tabligh ou les salafistes. Ils sont souvent autonomes, même si le salafisme vient d’Arabie saoudite, beaucoup de salafistes radicaux n’ont plus rien à voir avec les États, ils sont contre tout le monde. L’islam islamiste transnational, structurellement et au niveau des associations, peut parfois être autochtone juridiquement. Ce sont souvent des gens de troisième génération, installés en France, Français, fils de Français et petits-fils ou arrière-petits-fils d’étrangers. Cet islam des salafistes et des Frères musulmans est totalement inséré en Europe.

Gérald Darmanin va organiser un forum, fin janvier, pour travailler à une nouvelle organisation de l’islam de France. Que peut-on attendre de cette tentative ?

Cette initiative va dans le bon sens, mais le problème est le suivant : les Frères musulmans ou le Millî Görüş ont-ils été exclus ? Non. Pour l’instant, dans les islams des régions et des départements, il y a beaucoup d’activistes de cet islam consulaire ou de ces mouvements islamistes. Avant de faire des consultations ou d’engager des ruptures avec le CFCM, Darmanin aurait dû surtout interdire tout islam lié aux salafistes, aux Frères musulmans, au Millî Görüş turc et au Tabligh qui n’ont pas signé la charte de l’islam de France demandant juste que les lois de la République passent devant celles de l’islam.

Il y a donc un vrai problème avec cet islamisme qui a pénétré pratiquement toutes les instances. Le Conseil national des imams porté par le CFCM et celui porté par la grande mosquée de Paris et les Frères musulmans sont rivaux et se font la guerre entre eux à l’intérieur de l’islam de France, pour être à l’origine de ce nouveau centre national des imams. Il y a une cacophonie et une extrême division entre les différents pôles de l’islam en France et non de France. Il faudrait faire un islam de France et non en France : on en est très loin aujourd’hui. On peut presque affirmer que l’islam de France est inexistant, à part quelques personnalités qui dénotent, comme l’imam Chalghoumi.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

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