Alain Juppé, "le meilleur d'entre nous", comme l'appelait autrefois Jacques Chirac, va quitter sa ville de Bordeaux pour rejoindre le Conseil constitutionnel où l'a nommé Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, ce grognard d'Emmanuel Macron. "Le cimetière des éléphants", selon un dirigeant de La France insoumise, "une super maison de retraite pour les responsables politiques qui ont été battus", selon Marine Le Pen. Ne l'accablons pas trop ! Après une carrière qui, quoi qu'en disent ses thuriféraires, ne fut pas toujours exemplaire, il aura, enfin, l'ultime occasion de gagner le titre de « sage ».

Une carrière pas toujours exemplaire ? Non parce qu'il fut, en 2004, condamné à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité pour « prise illégale d’intérêts », dans l’affaire des emplois fictifs du RPR – après tout, il s'est sacrifié pour Jacques Chirac ! Même si l'on peut s'étonner qu'un homme qui eut des démêlés avec la Justice soit nommé au Conseil constitutionnel. Mais parce qu'il n'est pas un modèle de constance dans la fidélité à ses convictions.

Quand on relit les propositions de la droite, dans les années 1990, sur l'immigration, la préférence nationale, l'incompatibilité de l'islam avec la République, on se demande pourquoi Alain Juppé a régulièrement ostracisé le Rassemblement national, s'est séparé de Laurent Wauquiez et a choisi d'approuver la politique d'Emmanuel Macron, notamment en matière européenne. Quant à sa gestion de Bordeaux, s'il fut incontestablement un bon maire, il a forgé sa majorité au prix de contorsions idéologiques, comme lorsqu'il mit sur sa liste municipale des militants LGBT et un opposant déclaré au mariage pour tous. Il sait ratisser large.

En défendant, pendant la campagne des primaires, le thème de « l'identité heureuse », où il vantait la diversité des origines comme une richesse pour la société française, il prenait parti contre les thèses d'Alain Finkielkraut, dans son essai L'Identité malheureuse : il méconnaissait le danger que peut représente, pour l'unité de la nation, une population d'origine immigrée qui refuse de s'assimiler.

Jeudi, dans la conférence de presse où il annonçait son départ, il a confié, avec une émotion qui n'était pas feinte, que "quitter cet hôtel de ville est pour [lui] un crève-cœur". Il dit avoir repoussé, depuis plusieurs semaines, la tentation de se représenter en mars 2020, pour "ne pas faire le mandat de trop". Il a également déclaré qu'il n'avait plus "envie" de se donner à la politique, tant "l’esprit public est devenu délétère". Nostalgie due à son âge ? Prise de conscience tardive ? Mais n'a-t-il pas sa part dans cette dévalorisation de l'action politique dans l'opinion des Français ?

Nicolas Florian, son adjoint aux finances, a été désigné, jeudi soir, par les élus de la majorité municipale pour lui succéder. C'est un fidèle, jugé "ultra-loyal" envers son "patron". Virginie Calmels, un moment pressentie pour être la dauphine, avant d'avoir une aventure éphémère avec Laurent Wauquiez, a, de son côté, indiqué qu'elle démissionnerait pour retourner dans le privé : elle a sans doute estimé qu'il était plus intéressant pour elle de diriger "un très beau groupe français" que de se salir dans la politique.

Une page va donc se tourner pour Bordeaux. Ceux qui aiment cette ville ne peuvent que souhaiter que le prochain maire se consacre exclusivement à sa tâche, sache écouter l'opposition et s'abstienne de se livrer à des combinaisons politiciennes qui finissent toujours par déconsidérer leurs auteurs. Et espérer, aussi, qu'Alain Juppé mettra tout son talent dans l'accomplissement sans faille de sa nouvelle mission et n'usurpera pas le titre de « sage » auquel il aura désormais droit.

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15 février 2019 à 16:44

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