Agrégation : les arrière-pensées inavouables de ses détracteurs

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Le Monde du 8 juin a ouvert ses colonnes à un chef d'établissement, en disponibilité pour préparer des candidats au concours de personnel de direction. Sans doute en quête de notoriété, sous prétexte de « repenser la place des agrégés dans les établissements et le rôle de l'agrégation », il propose la suppression du concours externe de l'agrégation, qui fête cette année ses deux cents ans. Ne subsisterait qu'un concours interne, réservé aux titulaires et qui permettrait, selon lui, de distinguer les meilleurs des professeurs certifiés, à qui l'on confierait « un rôle de formation, de mentorat ou d'animation de la réflexion collective ». Les futurs « agrégés » deviendraient ainsi un « corps intermédiaire » destiné à « renforcer le pilotage pédagogique et créer des établissements apprenants ». Soit, pour traduire ce jargon, des collaborateurs zélés de leur hiérarchie.

L'auteur de la tribune présente sa proposition comme un progrès. Au passage, il semble mépriser les universités de province, qui dispenseraient des « formations académiques d’inégale qualité » et stigmatise les normaliens, qui iraient exercer leurs talents en dehors de l'enseignement. Fidèle à son habitude, Le Monde se fait ainsi le promoteur de poncifs susceptibles de plaire à la bien-pensance dont l'Éducation nationale n'est pas exempte. Mais contrairement à ces idées préconçues, les agrégés ne sont pas des privilégiés dont l'enseignement pourrait se passer. La plupart d'entre eux reconnaissent que, s'ils ont des droits, ils ont aussi des devoirs.

Leurs droits, c'est, en premier lieu, le respect de leur statut, qui précise qu'ils « assurent leur service dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dans les classes de lycée, dans des établissements de formation et, exceptionnellement, dans les classes de collège ». Quand on sait que 20 % à 25 % des agrégés sont affectés en collège, on en déduit que le ministère a une conception très extensive de l'exception. La Cour des comptes elle-même recommande régulièrement de mieux utiliser les agrégés en les nommant prioritairement en lycée. Ils peuvent également être affectés dans des établissements d'enseignement supérieur, où leur contribution est indispensable aux tâches d'enseignement.

Leurs devoirs, c'est de mettre toutes leurs compétences au service de leurs élèves ou de leurs étudiants, de la recherche aussi – beaucoup d'agrégés sont docteurs –, et d'œuvrer pour le progrès des connaissances. Leur formation les destine à assurer la transition entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. L'agrégation représente un idéal à atteindre, auquel aspirent les étudiants passionnés par la transmission du savoir et les professeurs certifiés qui se présentent au concours interne. Détruire ce repère, c'est renoncer à l'ambition de tirer l'enseignement vers le haut et nuire à l'attractivité d'une profession déjà dévalorisée.

Les détracteurs de ce concours répètent qu'une culture disciplinaire très solide ne suffit pas à faire un bon professeur – ce qui est une évidence. Mais ils se gardent d'ajouter qu'on ne peut bien enseigner que ce que l'on maîtrise parfaitement. Ils caricaturent l'image du professeur, qui dispenserait un cours magistral du haut de sa chaire, alors que plus il domine sa discipline, plus il sait se mettre à la portée des élèves qu'il a la charge d'instruire. Notons que ces détracteurs, quand il s'agit de leurs propres enfants, sont les premiers à rechercher des établissements réputés pour leur corps professoral.

Ces contempteurs de l'agrégation, qui ont aussi leurs entrées dans les instituts de formation, veulent-ils remplacer la transmission d'un savoir objectif par une normalisation idéologique des esprits ? La question mérite au moins d'être posée.

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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