À qui profite la destruction du barrage de Kakhovka ?

barrage de Kakhovka

Le 6 juin dernier, l’Ukraine et la Russie se sont accusées mutuellement de la destruction du barrage de Kakhovka, sur le Dniepr. La destruction d’une telle infrastructure, si elle est aujourd’hui définie par certains comme étant un crime de guerre[1], apparaît surtout comme une grande catastrophe humanitaire sur les deux rives de ce grand fleuve ukrainien. De vastes champs de blé auraient pu être moissonnés et sont aujourd’hui sous les eaux. En outre, la centrale nucléaire de Zaporijia pourrait, dans les prochains jours, devenir dangereuse car non refroidie. Qui, donc, pourrait profiter d’une telle catastrophe ?

Alors que la contre-offensive ukrainienne, si elle a réellement commencé, n’en est qu’à ses débuts, les Russes, qui sont les occupants à la fois du barrage et de la centrale, peuvent paraître, au moins à première vue, ceux qui sont à l’origine du désastre. Ils prétendent le contraire, mais dans la mesure où aucune frappe extérieure de missile ou de bombe n’a pour l’instant été détectée, seule une destruction interne du barrage semble probable, donc russe. Les Occidentaux sont prudents, car échaudés par le précédent du sabotage du gazoduc de Gazprom, hier imputé aux Russes et aujourd’hui plutôt aux Ukrainiens. « À la guerre, tout est permis, pourvu qu’on la gagne », pouvait-on dire, autrefois, avant que les médias ne couvrent les actions des armées. La notion de « crime de guerre » est fort ancienne mais réellement imputable aux vaincus, surtout depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo infligés aux criminels civils et militaires allemands et japonais.

Utiliser les éléments de la nature pour se défendre se fait depuis l’Antiquité. Les Hollandais, à l’époque de Louis XIV et jusqu’en 1953, avaient prévu d’utiliser l’inondation des polders comme une mesure défensive contre les envahisseurs, français ou allemands. En octobre 1914, le futur maréchal Joffre, lui-même, avec l’appui du roi des Belges Albert Ier[2] , avait fait inonder la vallée de l’Yser en sacrifiant l’habitat et l’agriculture de ses habitants à la nécessité de stopper les Allemands à l’embouchure de l’Escaut. Dunkerque fut ainsi préservée, ce qui permit aux Britanniques de continuer à acheminer des troupes sur le continent. Dans le droit de la guerre traditionnel, celui qui prévalait avant le droit international humanitaire, la destruction d’infrastructures nécessaires à la survie des populations civiles pouvait être justifiée par la « nécessité militaire ». Ainsi les tactiques de « terre brûlée » ou de « terre inondée » pouvaient être mises en œuvre sans que l’on se préoccupât de la survie des populations civiles, qui étaient alors jetées sur les routes de manière arbitraire et souvent non coordonnée.

Les répercussions géopolitiques mondiales de l’inondation de la vallée du Dniepr vont bien au-delà du sort des populations riveraines dont les belligérants s’occupent avec plus ou moins de bienveillance d’une rive à l’autre. Si les images relayées d’Ukraine nous montrent une solidarité à toute épreuve des autorités gouvernementales avec les populations victimes de cette catastrophe, le manque d’images et de témoignages du côté russe laisse davantage penser à une indifférence, voire à un abandon de la part des autorités militaires d’occupation. D’aucuns voient dans cette catastrophe naturelle un niveau supérieur de la « terreur » russe imposée à la fois aux adversaires directs et indirects et à l’opinion publique mondiale. La prochaine étape, au cas où la contre-offensive ukrainienne déboucherait, pourrait être alors une frappe nucléaire tactique, déjà maintes fois évoquée, notamment par le vice-président et ancien président de la Russie Dimitri Medvedev. La manipulation par le président Poutine des opinions publiques occidentales serait alors cohérente et viserait simplement à les dissuader de soutenir leurs gouvernants d’apporter davantage d’aide militaire aux Ukrainiens. Les autorités de l’OTAN et de l’Union européenne le savent bien et font tout ce qui leur semble utile pour isoler la Russie au sein de ce qu’on appelait autrefois le « concert des nations ». L’isolement médiatique et la mise au ban des autorités et oligarques russes font partie des contre-mesures opposées aux actions d’intimidation des Russes.

Alors, que penser ? Soit l’ONU se réveille et impose un cessez-le-feu sous l’égide conjointe de la Chine et des États-Unis avant d’acheminer une aide internationale aux populations riveraines du Dniepr, soit la guerre continuera encore des mois et des années jusqu’aux prochaines élections dans nos pays, et surtout aux États-Unis où les citoyens choisiront peut-être de nouveaux gouvernants plus indifférents à l’égard de l’Ukraine et des Ukrainiens. C’est ce qu’attend patiemment le maître du Kremlin, qui a vu durant vingt ans se succéder les chefs politiques occidentaux et a su, avec parfois un certain succès, les convertir à ses points de vue. La lâcheté et la compromission peuvent parfois paraître « bonnes conseillères », c’est là la stratégie des mafieux.

[1] Selon l’article 54 sur « la protection des biens indispensables à la survie de la population civile » du protocole additionnel n° 1 de la convention de Genève signé le 8 juin 1977 et ratifié par la Russie et l’Ukraine dès 1990. Les États-Unis ne l’ont toujours pas ratifié. Depuis 2019, la Russie cherche à se retirer de cette ratification.
[2] Surnommé le « roi chevalier » par la presse française et la presse francophone belge.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 11/06/2023 à 18:55.

Vos commentaires

38 commentaires

  1. « seule une destruction interne du barrage semble probable, donc russe. »
    « La manipulation par le président Poutine des opinions publiques occidentales  »
    Mais bien sur : tout est de la faute à poutine!
    Même les moustiques, le soleil, la sécheresse, la couleur des marguerites,que sais je sont de la faute à Poutine!
    Franchement!

  2. Une hypothèse génératrice d’espoir est à retenir de cet article : « que l’ ONU se réveille et impose un cessez le feu »

  3. Affirmer que les russes ont détruit le barrage est une absurdité, fruit d’un manque de connaissances. Le Dniepr alimente en eau la Crimée qui est russe et qui est maintenant menacée d’un manque d’eau. Le Dniepr refroidit la centrale d’Energodar qui est russe et donc menacée par la baisse du niveau de l’eau. Le rive droite du Dniepr est plus élevée, c’est donc la rive gauche qui a été inondée, occupée par les russes, et qui permet aux ukrainiens de bombarder les russes qui pataugent dans l’eau. Cherchez à qui le crime profite. Il est évident que ce sont les ukrainiens qui ont fait péter le barrage !

  4. Comme c’est bizarre! le barrage s’écroule après être revenu aux mains des Ukrainiens. Et bravo à tous ces intervenants des plateaux télé et leur boule de cristal!

  5. Article bien trop anti russe, BV devrait se modérer !! Certains disent que le barrage aurait été affaibli par des tirs d’artillerie ukronazis effectués en 2022 ! Avant de lancer l’ anathème contre les russes, il serait bon de se renseigner et pas auprès de nos généraux de télévision qui n’ont connu la guerre que dans les bacs à sable !!!

  6. Il faut savoir que le côté du Dniepr, conquis, occupé, par les Russes est plus bas que celui du côté Ukrainien….A votre avis, les Russes se seraient inondés ? De plus les Ukrainiens il y a quelques mois pour empêcher les Russes d’avancer auraient bombardé le barrage mais en le fragélisant simplement, sans doute pour noyer les russes occupant, mais sans provoquer la totale destruction du barrage. Là il aurait fini par casser, car les vannes sont bloquées au plus haut…C Q F D

  7. J’attends que la CPI inculpe ceux qui ont détruit l’Irak, la Lybie, l’Afghanistan, bombardé la Serbie pendant 75 jours etc, quant à la contre attaque Ukrainienne c’est du pipo,seule l’Ukraine a un intérêt à faire sauter le barrage, pour cacher son impuissance. Et permettre à ce mafieux de Zelinsky de demander toujours plus.

  8. Incroyable ce que les Russes peuvent faire avec leurs pelles !!! Destruction de North Stream, attaques sous faux drapeau à Belgorod, sur le Kremlin, récupération d’un char de 1942 sur un monument pour le renvoyer sur le front afin d’apporter un appui à leurs bataillons de « pelleteux » etc. etcétéra.

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