Il y a, décidément, une exception italienne, notre voisin étant aujourd’hui l’un des rares, au sein des vingt-huit pays européens, à s’opposer frontalement au diktat de Bruxelles vis-à-vis du président vénézuélien, Nicolás Maduro. La Commission européenne, en effet, suivant en cela Emmanuel Macron et Donald Trump, reconnaît comme seule autorité légitime Juan Guaidó, président de l’Assemblée nationale, qui s’est autoproclamé président tout court.

Pourtant, Sergio Mattarella, le président italien, n’entendait en la circonstance qu’assurer un service minimum, appelant à "choisir entre une authentique démocratie et la violence" ; ce qui, on en conviendra volontiers, n’engageait pas à grand-chose. On aurait pu imaginer que la rébellion viendrait de Matteo Salvini, président de la Ligue et turbulent ministre de l’Intérieur. Eh bien, non, c’est du M5S, parti à la fois rival et allié, qu’est venu le sursaut. Non content d’appeler à un dialogue avec le président légitime, Nicolás Maduro, Alessandro Di Battista, l’un des dirigeants du mouvement populiste, enfonce le clou : "Poser des ultimatums, imposer des sanctions, c’est ouvrir la voie à une intervention militaire." Voilà encore une autre forme de l’exception italienne plus haut évoquée.

On notera que la possibilité d’une "intervention militaire" demeure l’une des options retenues par la Maison-Blanche, même si sous couverture humanitaire, afin de parachever sa reprise en main de l’Amérique latine. Une fois de plus, il aurait été logique que Matteo Salvini, connu pour généralement s’aligner sur les positions du Kremlin, dénonce cet interventionnisme plus ou moins casqué. Toujours pas. Mieux : c’est encore Elisabetta Trenta, ministre des Armées et membre du M5S, qui va plus loin encore dans le refus de la tutelle américaine en annonçant unilatéralement le retrait des troupes italiennes du bourbier afghan. On notera qu’Enzo Moavera Milanesi, ministre des Affaires étrangères, a tout bonnement été mis devant le fait accompli. Ce qui n’est pas illogique, sachant que cet « expert », membre du gouvernement du président du Conseil Mario Monti en 2011, ancien de la banque Goldman Sachs et bête noire de la Ligue, occupe ici une position plus technique que politique.

Plus étonnant, Matteo Salvini, contrairement à ce qu’il aurait été raisonnable d’attendre de lui, s’en prend directement, et en des termes modérément diplomatiques, à la personne de Nicolás Maduro, le traitant de "délinquant" et de "tortionnaire", phraséologie digne d’un Bernard-Henri Lévy, qui ne doit pourtant pas être l’un de ses auteurs de chevet. C’est d’autant plus étonnant que le même Matteo Salvini, à l’unisson de Marine Le Pen, montrait la plus grande circonspection vis-à-vis d’un Steve Bannon se proposant d’unir les populismes européens sous la bannière étoilée.

Faut-il y voir une persistance de l’ancestral tropisme atlantiste de l’Italie ? Un Matteo Salvini, même si connu pour pratiquer un souverainisme des plus sourcilleux, aurait ici la mémoire courte ? Car s’il ne le sait pas, ses aînés, eux, ne sont pas sans savoir que ce pays fut de longue date le terrain de jeu favori des services américains. Que le réseau Gladio n’était pas qu’une rumeur. Que les activistes, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, étaient tout aussi manipulés par cette même centrale.

Paradoxalement, si Gianfranco Fini, pourtant dauphin de Giorgio Almirante, le chef historique du MSI, mouvement sans lequel l’actuel populisme transalpin ne serait pas, avait fait patte de velours devant le très encombrant « ami » américain, il est à mettre au crédit de Silvio Berlusconi d'avoir redonné à son pays un début d'indépendance diplomatique en n'hésitant pas, en soudard flamboyant, à taper du poing sur la table.

Il ne serait pas incongru que Matteo Salvini médite tout cela.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 16:52.

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06 février 2019 à 18:22

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