Un artificier lyonnais : « Notre filière risque de disparaître »

Capture d'écran ©Twitter
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Le 8 décembre 2020, un spectaculaire feu d’artifice est tiré au-dessus de la ville de Lyon. Une page créée pour l’occasion, « Lyon Fans », a partagé une vidéo reprenant la devise de la fête de l’Immaculée Conception « Merci Marie ».

Chaque année, les « gones » déposent des lumignons pour remercier la Vierge Marie d’avoir épargné la ville lors de la grande peste du XVIIe siècle. Une tradition qui est d’autant plus actuelle en ce temps de pandémie. La soirée du 8 décembre 2020 a été illuminée par des pyrotechniciens improvisés, alors que la mairie de Lyon interdit tous feux d'artifice.

Thibault Prévot est artificier de profession, il livre pour nous une analyse technique de ce feu d'artifice et témoigne des difficultés de la filière pyrotechnie en cette crise sanitaire.

 

À quoi ressemblent, à votre avis, les coulisses de ce feu d’artifice géant et non déclaré à l’occasion de la fête des Lumières du 8 décembre ?

Ce feu d’artifice part d’une quinzaine de postes de tir distants. Il est surtout composé de pièces de feu d’artifice compacts F2 et F3 homologués, qui nécessitent une vingtaine de mètres de sécurité. On notera la présence de fusées de détresse nautiques. Celles-ci ne sont pas utilisées par les artificiers parce qu’elles peuvent dévier avec le sens du vent et devenir, de fait, potentiellement dangereuses.

Ces pièces de feu d’artifice sont accessibles légalement et ne nécessitent pas d’autorisation particulière pour l’utilisation. Toutes personnes au-dessus de dix-huit ans peuvent s’en procurer.

Ce tir anarchique ressemble grandement à celui de Split, en Croatie, il y a seulement deux mois. Un groupe de supporters a fêté ses soixante-dix ans à grands coups de fumigènes.

Combien de personnes faut-il pour lancer ce spectaculaire feu d’artifice en catimini ?

Avec quinze postes de tir, il faut quinze personnes et un cerveau qui donne le top départ via WhatsApp, un peu comme à l’époque où on le faisait avec les talkies-walkies. Ils n’ont pas dû utiliser des boîtiers numériques de déclenchement automatique, car ceux-ci coûtent bien trop chers. Il faut quinze secondes pour allumer les compacts, quinze secondes pour partir vite, et le feu d'artifice est lancé simultanément. Pour l’allumeur, il ne reste plus qu’à faire semblant d’être ébahi du spectacle et le tour est joué.

La préfecture de région et la mairie de Lyon saisissent la Justice après ce feu d’artifice géant. En tant que professionnel de la pyrotechnie, que pensez-vous de cet épisode ?

Il est d’abord tout à fait normal que les autorités politiques se saisissent de cet événement et agissent en conséquence. Ils prennent leurs responsabilités.

Cependant, l'anecdote reste amusante. C’est bien la preuve qu’il est possible d’organiser des feux d’artifice sur plusieurs points distants et sans attroupement. Les Lyonnais semblent très satisfaits de ce tir, le rendu est très réussi, il n’y a pas eu d’accidents, cela montre que le but est rempli. C’est ce que nous avions proposé, et cela nous a été refusé plusieurs fois par les préfets. Cette année, il n’y a pas eu de 14 Juillet. Si, au mois d’avril, nous ne remplissons pas nos carnets de commande, c’est toute notre filière qui risque de disparaître.

Êtes-vous en train de lancer une fusée de détresse pour l’avenir économique de votre profession dûment frappé par la crise sanitaire ?

Oui tout à fait. Je perds 1.500 euros par jour, le stockage coûte très cher. J’ai perdu 80 % de mon chiffre d'affaires. Si je n’ai pas de commande pour le 14 Juillet, je ne peux pas m’endetter sur dix ans, je vais devoir déposer le bilan. On ne s’improvise pas artificier, la sécurité est un enjeu qu’il faut savoir maîtriser et qui ne s’apprend pas du jour au lendemain. Aujourd’hui, c’est toute une filière qui est menacée alors que nous pouvons remplir les commandes tout en nous adaptant aux règles sanitaires.

Propos recueillis par Jean Bexon

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