[Au fil de l’eau] Retraites : à quoi sert l’Assemblée nationale ?

assemblée nationale

Nous y voilà : la proposition de loi du groupe LIOT abolissant la réforme des retraites a reçu l’aval du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et sera, par conséquent, débattue d’abord en commission puis en séance plénière.

Si l’Assemblée nationale venait à abolir la réforme des retraites récemment adoptée sans qu’elle ait pu la voter, l’échec du gouvernement serait patent. Fini, l’apaisement des 100 jours d’Emmanuel Macron, les conciliations inachevées du gouvernement pour trouver des majorités de circonstance. Et que dire du rétablissement de la confiance dans nos institutions qui, en plus d’être extrêmement fragilisées, s’en trouveraient désormais totalement incompréhensibles ! La Macronie se déploie donc en vue d’éviter cet échec à tout prix. Comment faire ?

Elle suggère, pour commencer, que la proposition de loi est inconstitutionnelle, en référence à un autre article de la Constitution devenu célèbre : après le 47.1 et le 49.3, vedettes de la réforme des retraites, voici le 40 : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique » - « ne sont pas recevables », c’est-à-dire « ne peuvent pas être mises en discussion ». Or, l’abolition de la loi sur les 64 ans aurait pour conséquence une aggravation de la dépense publique, puisque cette loi fait faire des économies à l’assurance vieillesse. Raisonnement inoxydable, fin de la partie.

C’est, du moins, ce que souhaitaient les macronistes. Mais les parlementaires connaissent par cœur cet article 40 et savent aussi qu’une proposition de loi ne coûte rien si elle prévoit une recette pour la financer : l’article 40 n’interdit pas les propositions présentées à l’équilibre. Alors les parlementaires - ils le font tous - utilisent un quasi-artifice pour répondre à l’exigence constitutionnelle : ils financent leur proposition par une augmentation des taxes sur les alcools et les tabacs. La forme est ainsi respectée. La conformité de la proposition à la Constitution est acquise. Le débat peut avoir lieu. L’argument d’inconstitutionnalité est devenu sans objet. La Macronie hurle au scandale parce que, cette fois-ci, la pièce tombe du mauvais côté : on ne peut pas gagner à tous les coups, mais d’inconstitutionnalité, toujours point.

D’autant plus qu’en l’espèce, la décision du président de la commission des finances oblige la majorité à mettre les mains dans le cambouis. Il va falloir faire quelque chose : jouer à Cendrillon, c’est-à-dire empêcher que le vote de la proposition de loi n(intervienne avant minuit, heure à laquelle, quoi qu’il arrive, la séance réservée à l’étude des propositions de loi prend fin (sans vote si l’examen du texte n’est pas terminé). Et entrer, pour ce faire, dans une démarche de pure obstruction, multipliant les amendements pour faire courir la pendule. Et voilà la Macronie sur le point d’adopter les pratiques contre lesquelles aucun mot de sa part n’était assez dur à l’encontre de La France insoumise pendant le débat précédent sur les retraites. Ainsi va la gloire du monde…

Heureusement, le règlement de l’Assemblée nationale vient à la rescousse. Et entre en jeu - pour son malheur - le groupe Les Républicains. Sans détailler outre mesure, voyons que le texte de la proposition de loi qui sera débattu en séance publique est celui que la commission des affaires sociales aura adopté - amendé par elle, donc. Au sein de la commission des affaires sociales, le rapport de force est équilibré. Difficile de dire de quel côté penchera la majorité. Mais, coup de théâtre de ces dernières heures, le groupe LR s’est dit prêt à remplacer les députés de ses rangs membres de la commission des affaires sociales en vue de contrer la proposition de loi (oui, c’est possible, à tout moment).

Conséquence ? Imaginons que l’article de cette proposition de loi qui supprime l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans soit supprimé par la commission des affaires sociales. Le texte arrive en séance publique sans cette disposition, mais est tout de même soumis au débat. Les auteurs de la proposition de loi voudront rétablir, pendant ces débats, l’article sur les 64 ans : ils le feront en déposant un amendement dans ce sens. Mais l’amendement (cf. nos paragraphes précédents) est soumis, lui aussi, aux fourches Caudines de l’article 40. La seule différence est que, cette fois-ci, c’est le président de l’Assemblée qui apprécie la situation (selon l’article 98 du règlement de l’Assemblée nationale) et non plus le président de la commission des finances : la majorité et non plus l’opposition. Il suffira au président de l’Assemblée de déclarer irrecevable cet amendement pour que le texte soit totalement vidé de sa substance, sans autre forme de procès.

Rien de bon ne sortira de cette séquence. La majorité aura abîmé un peu davantage les institutions, le groupe LR aura entamé un peu davantage son crédit et la réforme des retraites sera toujours active sans que l’on en connaisse vraiment les tenants et aboutissants. Et l’on voudrait que les Français reprennent confiance dans la vie politique ?

Jean-Frédéric Poisson
Jean-Frédéric Poisson
Ancien député des Yvelines, président de VIA - La Voie du Peuple

Vos commentaires

13 commentaires

  1. Cette analyse de situation dénote l’expérience de J.-F. Poisson. Elle lui permet de détecter et dénoncer les ruses et les camouflages des diverses parties engagées dans un combat interminable. Changer les participants à une commission en fonction de leurs prises de position sur le thème débattu ne relève-t-il pas d’un procédé légal certes, mais ouvrant la possibilité de forfaiture ? Comment mobiliser les citoyens sur les travaux parlementaires et réconcilier les abstentionnistes avec le vote lors des élections à venir ?

  2. On peut prévoir que les Assemblées Nationales des pays de l’U.E. vont sans doute une année prochaine (2027 ou 2032 ou 2037…?) tendre à être moins en nombre, voire supprimées par les Instances de Pouvoir de l’U.E.? peut être par la commission Européenne qui depuis bien longtemps s’est arrogé des compétences qu’elle n’avait pas….
    Il faudra réformer l’U.E. sinon on ne pourra plus rein décider…Même l’Assemblée Nationale de l’U.E. se laisse dépasser par la Commission Européenne non élue…

  3. La Honte soit sur le LR qui s’éloigne de plus en plus de la volonté des Français en cautionnant une nouvelle fois une loi bâclée sur les retraites.Ce parti signe ainsi son absence de projet pour la France et sa propre fin.
    Que les quelques grognards qui restent au LR par fidélité en tirent les conséquences pour participer à l’union des droites.
    A.Lerte

  4. Merci pour ce cours magistral, c’est vraiment très complexe. Votre conclusion est très réaliste (mais je vote toujours). Il faudrait vraiment détartrer à tout les niveaux!

  5. Nous avions bien raisonnablement constaté, il fut un temps, que le Sénat n’était pas utiles dans la gestion catastrophique de notre pays et nous coute un maximum, son budget semble énorme rien qui de ce que l’on peux en voir. A voir depuis un certains temps que la chambre des députés ne fait pas mieux, alors que nous reste il, la France un pays démocratique, c’est a en douter, il n’en reste que des bribes de moins en moins.

  6. Je note simplement la décadence permanente des LR quand à la Nupes il est permis de se demander encore la raison qui pousse les idiots de Républicains qui travaillent encore pour payer ce tas de boue.

  7. L’assemblée Nationale ne sert qu’à voter des impôts ! Et rien qu’à ça.
    Si les députés avaient du courage et de la suite dans les idées, ils enclencheraient l’Article 68 de la Constitution de la Cinquième République française :
    « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.
    La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.
    La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.
    Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
    Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article. »

  8. renaissance fera comme à son habitude enterrera le projet avec sa présidente de l’assemblée nationale Yael Braun Pivet, qui avait déjà enterré la commission d’enquête de l’assemblée nationale sur l’affaire Bénalla, madame braun pivet bon petit soldat de la macronie vis eun ministère, elle ne peut fiare moins que refuser les amendements à venir, il restera le dépot d’une énième motion de censure, mais avec les couards de républicains se sera voué à l’échec, les LR soutiennent la macronie c’est évident.

  9. Toute cette cuisine digne des meilleurs chefs étoilés nous pousse à vomir. L’assemblée est devenue inutile, ce qui est remarquable c’est la parfaite maîtrise par la secte des outils constitutionnels. On le dit depuis des mois, la gauche et l’extrême gauche sont organisées et cela depuis des lustres. Rien à voir avec cette pauvre droite totalement à la ramasse . De plus et pour en ajouter le grand ministre de l’économie qui marquera l’histoire de France nous indique que Borne à de bonnes raisons d’associer RN/ FN et Petain qui rappelons le a été mis en place par la gauche. Ne manquent plus que la Gestapo, le SD et la SS. Tout cela était prévu beaucoup n’y croyaient pas. Et bien entendu toujours avant des élections.

    • Si ce n’était que cela. On pourrait en rire. Le pire est à venir et il arrive à petits pas feutrés.

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