Témoignage de prof : « Après l’assassinat de Samuel Paty, j’ai démissionné. Je ne veux plus jamais faire ce métier »
Professeur d’histoire depuis 25 ans en région parisienne, vous avez fini, après l’assassinat de Samuel Paty, par jeter définitivement l’éponge. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Depuis longtemps, déjà, il est devenu très difficile de faire cours. Pour ouvrir la salle de classe, il faut déjà passer une masse compacte d’élèves les yeux rivés sur leur portable qui barrent la porte et vous ignorent. Les autres sont assis ou couchés dans le couloir. Il y a longtemps qu’il n’y a plus de surveillant pour les faire se relever. Le professeur doit tout faire.
Le premier problème, majeur, est celui de la langue. Beaucoup la parlent mal, ne maîtrisent pas les temps, ne connaissent ni le passé ni le futur. Ils sont dans l’instant présent. Dans la classe de 1e STMG, où j’enseignais jusqu’au mois d’octobre, la moitié des élèves portent un prénom d’origine maghrébine. Le lycée public en question, pourtant, n’est pas dans une banlieue dite sensible, mais dans une banlieue de l’Ouest parisien réputée cossue et bourgeoise (il y a de nombreux logements sociaux).
Au mois de septembre, je leur propose, en éducation morale et civique, des sujets d’exposés divers avec, comme fil directeur, la société française, notamment la montée de l’islamisme et de l’antisémitisme. Gronde dans la classe. Personne ne prendra ce sujet, disent-ils, et notamment l’un d’entre eux, F., d’origine algérienne. Je leur dis qu’en France, on peut parler de tout, nous avons la chance d’être dans une démocratie… peine perdue. Je finis par abandonner, de guerre lasse.
Une autre fois, alors que je leur montre une image avec Louis XVI décapité, certains poussent des exclamations ravies : « C’est stylé, c’est comme Daech, on dirait la Syrie ! » Une autre fois encore, le dit F. quitte l’un de mes cours, furieux, en claquant la porte : « C’est un cours de merde ! »
Je fais un rapport au sujet de cet élève et suis convoquée chez le proviseur. Celui-ci me conseille de les emmener à la grande mosquée de Paris, de rencontrer l’imam, il me dit avoir fait cela lui-même en son temps, avec Jack Lang… Il me semble complètement hors-sol. Je ne me vois pas du tout prendre la responsabilité d’emmener ces « fauves » - j’utilise ce mot, qui le fait tiquer, c’est pourtant celui qui me vient à l’esprit - dans le RER. Je ne peux pas dire, pourtant, qu’il ne m’a pas soutenue : F. a été exclu définitivement du lycée. Le proviseur a convoqué ses parents - le père était absent, la mère ne parlait pas français. A-t-on résolu le problème pour autant ? Non, car en réalité, personne ne sait ce qu’il est devenu. Les administrations n’ont pas de lien entre elles et les services sociaux n’ont pas été prévenus. Il erre dans la nature sans contrôle aucun.
Quoi qu’il en soit, pour moi, ce fut, sur l’instant, un soulagement. Après son exclusion, j’imaginais naïvement avoir la paix. Je suis donc revenue plus sereine en classe. Grossière erreur : j’ai été accueillie par une hostilité agressive et inquiétante : « Madame, vous n’avez pas le droit de faire des rapports, c’est de votre faute si F. a été renvoyé ! » Il ne faut pas oublier que les délégués de classe sont présents au conseil de discipline, et souvent, c’est leur popularité de caïd qui leur a permis d’être élus… ils s’étaient chargés de chauffer la classe.
Ces événements se sont passés quelques jours avant l’assassinat de Samuel Paty. Quand j’ai appris le drame, j’avoue que j’ai craqué et n’ai pas voulu revenir dans la classe. Je souhaite me reconvertir, je ne veux plus faire ce métier. Que j’ai pourtant beaucoup aimé.
Est-ce votre matière, l’Histoire, qui rend l’exercice de votre métier spécialement compliqué ?
Oui, bien sûr, en y réfléchissant, je me rends compte que je m’autocensure depuis longtemps. J’en aurais parlé, mais je n’aurais jamais montré les caricatures comme l’a fait Samuel Paty. J’évite certains sujets. De toute façon, comment ces enfants pourraient-ils aimer notre pays quand notre programme n’a prévu que de leur enseigner haine de soi et repentance. Encore Vichy et l’affaire Dreyfus, s’écrient-ils. Mais on l’a déjà vu en troisième ! Ils n’ont pas tort. Pourquoi ne pas leur apprendre les belles pages de notre Histoire, Dieu sait s’il y en a !
Pour répondre à votre question, l’Histoire n’est pas la seule matière « sensible ». Les professeurs d’EPS et de SVT rencontrent aussi des difficultés liées au rejet de certains savoirs disciplinaires et de la laïcité. J’ai appris que, dans le lycée du centre-ville avec une population favorisée, un jeune professeur d’Histoire avait été convoqué dans le bureau du proviseur et avait eu la surprise d’y trouver des policiers de la brigade antiterroriste. Ceux-ci lui ont appris qu’il faisait l’objet de menaces de mort sur les réseaux sociaux, après un cours dans lequel il avait abordé les thèmes de la colonisation et décolonisation…
Et vous n’êtes pas seule dans votre cas…
Ah non, bien sûr ! J’ai même la chance, pour ma part, d’avoir un environnement familial stable qui me soutient, mais je pense à tous ceux - toutes celles, car c’est un métier exercé par de nombreuses femmes - qui sont isolés. Il y a de quoi se flinguer, parfois ! Comme dans le système hospitalier, il y a une administration pléthorique - un membre de l’Éducation nationale sur trois est un administratif - mais très éloignée du terrain, que nous ne voyons jamais, qui nous impose, notamment à chaque changement de ministère, des directives fastidieuses et contraignantes, souvent complètement hors-sol, voire contradictoires. Un exemple ? Avec la crise du Covid, on a recommandé aux professeurs d’aérer leurs classes… comme si on avait oublié ou ignorait que, pour prévenir les suicides par défenestration des élèves, les fenêtres étaient bloquées, les profs ne peuvent pas les ouvrir (j'ai enlevé le « doivent » car les fenêtres sont réellement bloquées).
La vérité est qu’on ne les voit jamais sur le terrain, les inspections sont rares (en 24 ans, je n'ai été inspectée que deux fois...), mais, quand elles ont lieu, peuvent tourner au procès en règle pour le prof, voire à l’humiliation. J’y ai eu droit ! Les proviseurs, aussi, sont souvent absents et regardent ailleurs : pour leur carrière, surtout pas de vague. Les professeurs ont l’impression d’être des numéros interchangeables sans identité : du moment qu’il y a un professeur devant chaque classe, tout va bien. Pour le reste, débrouillez-vous !
Vous nous dressez un tableau très noir de la situation...
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de belles choses : j’ai vu des élèves, issus de famille très défavorisées, s’en sortir admirablement. Mais globalement, le constat est là.
Je ne sais pas par quoi il faudrait commencer. Sans doute l’apprentissage et l’amour de la langue, je l’ai dit, et l’exigence à l’école. Il y a longtemps que je ne leur fais plus étudier un texte de Périclès que j’affectionnais, ils n’ont pas les outils pour le comprendre. Or, ne pas maîtriser la langue engendre de la violence.
Je sais que mon poste, devenu vacant à ma démission, n’est toujours pas pourvu. Le métier ne fait plus rêver alors qu’il constitue un des piliers de la nation.
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