« Seuls les pays francophones semblent connaître une épidémie de putschs… »

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Peer de Jong est un ancien colonel des troupes de marine, il a été également aide de camp de deux présidents de la République. Cofondateur de l'institut Themiis, il est désormais spécialisé dans la formation des armées africaines. Il a notamment suivi de près la montée en puissance de Wagner, qu’il analyse finement dans son récent livre Agir entre les lignes (Mareuil Éditions). Après la série de coups d'État « surprises » en Afrique francophone qui ont émaillé l'actualité, il s'interroge sur notre capacité d'anticipation et même de compréhension... 

Gabrielle Cluzel. Après la Guinée, le Mali le Burkina Faso et le Niger, voici le Gabon… On dénombre pas moins sept coups d’État dans les trois dernières années. La stabilité de l’Afrique semble s’effondrer comme un château de cartes. Reste-t-il un seul pays qui ne soit pas ébranlé, ou susceptible de l’être à court terme, sur ce continent ?

Peer de Jong. Paradoxalement, seuls les pays francophones semblent connaître une épidémie de putschs. Cela soulève la question de notre niveau d’anticipation, voire de connaissance des milieux africains. Visiblement, la France n’a pas vu ces coups d’État arriver. Difficile de dire le contraire. Cette cécité depuis 2020 et 2021 (les deux putschs successifs au Mali) est à mettre en parallèle avec deux autres événements : la rupture du contrat de vente des sous-marins français à l’Australie, suivie de la création de l’AUKUS (Australia/United Kingdom et United States), en septembre 2021, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. Ces événements n’avaient pas non plus été anticipés. Cela commence à faire beaucoup. Cette série d’événements surprises démontre un problème de capteurs.

Il n’en reste pas moins que maintenant, la plupart des pays africains francophones s’interrogent sur la solidité d’une alliance avec la France, d’autant que certains d’entre eux sont dans des situations politiques assez comparables à celle du Gabon. Toute l’Afrique observe. Le coup d’État de Libreville de cette fin du mois d’août 2023, plus que tous les autres réunis, a ébranlé les confiances. Le Gabon est stratégique, pour la France (position géographique, ressources naturelles, présences d’une communauté française importante, présence d’une base militaire permanente depuis les années 1960). Comment imaginer que la France n’ait pas vu ou pu agir sur ces événements. Nous n’avons pas vu les choses évoluer, et particulièrement chez les militaires. Les officiers africains sont très bien formés, à présent. Ouverts aux opérations de paix de l’ONU, acteurs et promoteurs des forces en attente des organisations régionales et formés dans les meilleurs instituts mondiaux, les officiers africains essayent de faire comprendre au monde qu’ils peuvent être des acteurs privilégiés. En y regardant bien, la plupart des chefs d’État africains sont d’anciens militaires…

G. C. Ces événements sont-ils indépendants les uns des autres ou interconnectés ? Ou, en d’autres termes, peut-on en faire une analyse globale ? 

P. J. Les événements récents en Afrique obligent à une double lecture. Chaque État a ses propres logiques, ses préoccupations et ses problématiques endogamiques. Le rythme des événements n’est donc pas le même partout. Même si, en deuxième lecture, il est clair que l’Afrique francophone a connu un mouvement collectif impulsé par Paris dès les indépendances des années 1960. Le discours de La Baule, en 1991, a ouvert, dans une deuxième période, l’Afrique francophone au débat démocratique et à la limitation des mandats des chefs d’État. Trente ans après, il faut bien constater qu’une troisième période s’ouvre, marquée à la fois par une critique des systèmes dynastiques que certains États veulent mettre en place et un amoindrissement de la sécurité collective par l’émergence d’un terrorisme conquérant. L’Afrique ne prend plus ses ordres à Paris, loin s’en faut. Pointilleux sur leurs souverainetés, nationalistes, les États africains s’ouvrent aux influences étrangères et à de nouveaux partenariats marqués par le principe de « l’empreinte minimum ».

G. C. Cette instabilité va de pair avec un net recul de l’influence française. « Françafrique » est toujours montrée du doigt quand il s’agit de trouver un bouc émissaire. Cette perte de vitesse est-elle imputable à un échec de la politique française en Afrique ou aux coups de boutoir de Wagner ?

P. J. La « France-Afrique » est morte et enterrée depuis longtemps. Depuis la mort de Jacques Foccart en 1997, le modèle importé de Paris a connu de nombreux coups de boutoir. Le discours de Dakar en 2007 et la guerre en Libye en 2011 ont achevé de faire prendre conscience à l’Afrique de la distanciation qui existait entre Paris et les capitales du continent.

Nous avons délaissé l’Afrique « par habitude » tandis que les Africains trouvaient de nouveaux espaces de partenariat. La Chine mais aussi la Turquie, les États-Unis et évidemment la Russie se sont engouffrés dans la brèche. Même l’Union européenne, au nom de la politique commune, a conquis des parts de marché. La page se tourne car, d’un côté, les États africains se tournent vers d’autres logiques (ainsi les votes successifs de nombreux États africains aux Nations unies qui refusaient de critiquer l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022) et, de l’autre, nos concurrents s’engouffrent dans la brèche de nos problèmes. Confrontés à des problématiques de sécurité, saturés du discours sur les « valeurs » promu par l’Occident, l’Afrique recherche de nouveaux partenaires opérationnels. La Russie et Wagner répondent présent.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

16 commentaires

  1. C’est le moment de demander des comptes à tous les responsables de la « Françafrique » depuis un bon demi-siècle, politiques, diplomates, militaires, « experts » de tout poil… Bravo les gars, c’est une belle réussite!

  2. Et si l’alignement de la France et de l’Europe sur l’impérialisme américain étaient à la source de cette méfiance ? Car la seule chose que sait faire Macron c’est de s’aligner sur les positions impérialistes des Etats Unis qui depuis des décennies « sanctionnent » à tout va les pays qui ne leur plaisent pas. Alors chaque Etat peut se demander « et si bientôt c’était mon tour de subir ces sanctions » ? Et de se tourner vers d’autres horizons.

  3. Observations intéressantes. Et si cette série de coup d’état était la suite de la politique de L’URSS et maintenant de la Russie inspirée par Lénine : pour tenir l’Europe, il faut conquérir l’Afrique. La France, diluée dans l’Europe et dirigée par des collaborateurs oublie l’Afrique. Elle a bien oublié le nucléaire. L’occasion a fait le larron.

  4. Il est certain que lorsqu’on lit spunik africa on voit les choses différemment que sur LCI ou BFMTv!

    Une chose me gêne dans cet article :  » l’invasion de l’Ukraine par la Russie ».
    Ah bon? je voudrais que l’on m’explique en quoi le fait de tenter d’aider des provinces autonomes sous le feu des ukrainiens depuis presque 10 ans, est une invasion.

    • Je suis bien d’accord avec vous. Les US ont d’abord fomenté un coup d’état en Ukraine (Maïden …) ; ils ont mis des hommes à eux à la tête du pays, aidés par la CIA notamment. Les accords de Minsk n’ont pas été respectés par l’Ukraine. La France et l’Allemagne, partie à cet accord, n’ont pas su réagir, prisonniers qu’ils étaient de leur allégeance aux Etats Unis. Et lorsqu’il a été question de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN les Russes n’avaient plus qu’une alternative, intervenir.

  5. Macron a été capable en public de suggérer à un président d’Afrique » d’aller réparer la climatisation ». .Plus méprisant il n’y a pas. Il reste une république bananière francophone qui n’a pas connu de Putsch: la France

  6. Notre pays est entravé par d’une part l’Europe et par les états unis d’Amérique. Quant j’entends notre président conseiller que le drapeau Russe ne doit pas être hissé sur les lieux des jeux olympiques en raison que le Président de la Russie est accusé de crimes contre l’humanité je trouve désolant que des sportifs en paient le principal coup mais surtout je me souviens autre fois ce que les Américains on perpétrés dans le monde, Vietnam, Corée du Nord dans les années 50 et ailleurs comme Cuba et l’île de la Grenade où en Octobre 83 est envahie par une coalition menée par les États-Unis avec 7000 soldats US. Le nombre de ces faits jusqu’ a présent feraient que les états unis ne soit pas non plus présent aux jeux olympiques. Quant vous parlez de la Russie en pays Francophones subsaharien on ressent fort bien qu’ils ont un coup de coeur pour la Russie, c’est indéniable.

    • Oui mais bonjour à la nouvelle colonisation – voire d’un asservissement – mafieux à la Russe. Ces africains sont aussi atteint d’une forte cécité.

  7. Les dirigeants français prennent la paie mais pas les responsabilités. L’Europe décide pour eux pour toutes les questions importantes, et ils s’agitent sur les affaires courantes. Prévoir, anticiper, ce n’est pas dans leur ADN.

  8. En voulant, du moins officiellement, apporter la richesse et la démocratie dans ces pays ou cette notion est majoritairement rejetée, nous avons poursuivi un néo-colonialisme larvé, du moins c’est comme ça qu’à tort ou à raison le ressentent les population. Résultat nous sommes virés de partout, alors que d’autres pays colonialistes, après l’indépendance de leurs colonies ont fait des accords bilatéraux équilibrés, tout se passe mieux qu’avec nous.

  9. La France est devenue un état faible. Sa faiblesse tient en partie à ce que sa politique étrangère est entravée par l’Europe. Dans ce domaine comme dans tous les autres, elle a perdu sa souveraineté. Les Africains ne sont pas sots. Ils voient bien l’état du pays : Sa dévalorisation à l’international est aussi symbolisée par un Président photographié la chemise ouverte sur son maigre torse, buvant une bière à la bouteille… Pas un modèle susceptible d’inspirer du respect aux militaires africains…

  10. En réalité que faire? Si la France intervenait pour chasser les putschistes, elle serait immédiatement prise à partie et vilipendée par les panafricains et même par nos « partenaires » en expliquant que ce temps-là est terminé. Ce serait encore pire. Ce qui se passe en France, ce n’est pas un problème de capteurs, nous sommes les mieux lotis et Europe à ce niveau, non le problème c’est que les autorités françaises se refusent à reconnaître des situations auxquelles elles n’ont plus les moyens de faire face. Notre armée est l’agonie, notre diplomatie également, tout comme notre économie… vous évoquez notre perte de terrain économique et donc d’influence: mais que nous reste-il à vendre aux africains? Que la Chine ne vend pas moins cher? A part des valeurs qui n’intéressent personne car les peuples africains ont des soucis bien plus concrets que La Défense des droits lgbt…

  11. Rien d’étonnant, les américains sont à la manoeuvre depuis au moins 40 ans ! Rappelez-vous l’affaire « Pégasus » en 2021 avec le maroc et les USA qui tirait les ficelles

    • et pour la guerre d’Algérie qui a armé le FLN toujours les mêmes les USA , on peut dire que partout ou passent les américains il y a des millions de morts !!

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