[Série d’été] Les grandes victoires de la droite. III – Le 29 mai 2005, Le Pen et Villiers font voter « non » à l’Europe

drapeau européen

Chirac, Hollande, Giscard, Cohn-Bendit, Bayrou… Tous étaient d’accord pour imposer aux Français une Europe à la mode de Bruxelles : bureaucratique et désincarnée. C’était sans compter un quarteron de fortes têtes : Villiers, Le Pen, Chevènement, Dupont-Aignan… et l’esprit frondeur des Français.

Non. Trois petites lettres qui résonnent comme le mot de Cambronne. Un « non » jeté par les Français à la face de tous ceux qui voudraient, depuis au moins Maastricht où mourut d'Artagnan, immoler la France et les nations sur l’autel de l’Europe. Au nom de la croissance retrouvée. Au nom du chômage aboli. Au nom d’arguments que les faits ont toujours démentis.

Maastricht, pourtant, aurait dû les alerter : en 1992, le peuple français n’avait accepté que du bout des doigts un traité dont ils n’avaient pas encore mesuré les contraintes. Et voici qu’après la monnaie unique en 2002, on leur promettait une Constitution (pardon, un « traité constitutionnel ») censé soumettre 25 pays et 25 peuples à des principes communs, à des règles communes allant jusqu’à fixer la courbure des concombres et la composition du chocolat… En tout, 448 articles rédigés dans les 20 langues officielles de l’Union européenne, sans compter les traductions bulgare, roumaine… et turque !

On doit à Jacques Chirac d’avoir choisi la voie référendaire, laissant au peuple et pas seulement au Parlement le soin de ratifier ou non ce traité. Il est vrai que les sondages prédisent, à l’époque, une large victoire du « oui ». Comment en serait-il autrement ? La plupart des responsables politiques sont pour, la plupart des éditorialistes, la plupart des grands dirigeants d’entreprise : tout ce que Raymond Barre appelait le « microcosme » et Jean-Marie Le Pen « l’établissement ». Le 17 mars 2005, Nicolas Sarkozy et François Hollande posent ensemble en une de Paris Match pour exhorter les Français à voter « oui ». Le 3 mai, Daniel Cohn-Bendit et François Bayrou, président de l’UDF, font tréteaux communs à Nantes pour défendre le traité. Le « oui » l’emportera forcément parce que la raison le commande et que Bruxelles, Berlin et les marchés l’exigent.

« Un texte facilement lisible, limpide et assez joliment écrit »

Cette belle assurance va s’effilocher à mesure qu’approche l’échéance du 29 mai. Le principal artisan de ce traité, Valéry Giscard d’Estaing, ne doute pas de la qualité de son œuvre : « C’est un texte facilement lisible, limpide et assez joliment écrit : je le dis d’autant plus aisément que c’est moi qui l’ai rédigé... » Mais il est pris d’un doute : « C’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui », prévient-il, le 6 mai, dans Le Monde

Alors Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin a beau inviter les Français à adopter la « positive attitude » (référence empruntée à la chanteuse Lorie), le « oui » ne cesse de reculer sous les coups conjugués des francs-tireurs de la droite nationale et souverainiste (Le Pen, Villiers, Pasqua, Dupont-Aignan qui s’affranchira bientôt de l’UMP) et de quelques supplétifs de gauche (Emmanuelli, Mélenchon…) qui jugent le traité trop libéral. En septembre 2004, les sondages donnent le « oui » à 69 % ; à 56 % le 7 mars 2005 ; à 49 % le 17 mars !

L’Élysée tente alors une contre-offensive médiatique. Le 14 avril, sur TF1, Chirac fait face à 83 jeunes de 18 à 30 ans qu’il veut convaincre des vertus de l’Europe : un dispositif inédit, imaginé par Claude Chirac qui a choisi Marc-Olivier Fogiel et Jean-Luc Delarue pour animer les débats. Mais le « polity-show » vire au fiasco. Chirac a des problèmes d’audition ; il ne parvient pas à nouer le dialogue avec des jeunes moins préoccupés par l’Europe que par leurs problèmes personnels. Ils n’y croient plus. Le malaise est palpable, cela sent l’impuissance et la fin de règne ; le « oui » recule encore de plusieurs points.

Les ravages du plombier polonais

Il faut dire que Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers font tout pour convaincre les Français de rejeter ce funeste traité. Tous deux dénoncent une « Europe passoire » ouverte à tous les vents migratoires (« Les flux d’immigration vont continuer à s’accroître et seront plus que jamais nécessaires », écrit la Commission dans une communication au Conseil européen, le 3 juin 2003). Ils rejettent une Europe qui s’étendrait jusqu’à l’Asie en admettant en son sein la Turquie d’Erdoğan. Villiers ne veut pas d’une « Europe qui éconduit Dieu pour faire entrer Allah ». Jacques Chirac a pesé de tout son poids pour que les « racines chrétiennes » de l’Europe ne soient pas mentionnées dans le préambule du traité constitutionnel : « La France est un État laïc. C’est capital pour la sérénité de notre espace culturel », déclare-t-il à Rome, en octobre 2003. Mieux aurait valu pour la France et pour lui qu’il écoutât son épouse, Bernadette : « Mon mari a peut-être des conseillers très intelligents mais tous ces braves gens ne comprennent pas grand-chose aux Français, confie-t-elle à l’époque à Laurent Wauquiez. Ils ont juste perdu leur référendum sur la Constitution européenne avec leurs racines chrétiennes et ils ne le savent pas encore... »

Féru d’histoire, Philippe de Villiers ne manque jamais de souligner que le 29 mai, la date du référendum, est aussi le jour anniversaire de la prise de Constantinople par les Ottomans, et donc de la chute de l’Empire romain d’Orient. Mais à ces considérations sur le destin et l’identité de l’Europe, le président du MPF va ajouter un argument décisif : coutumier des bons mots et des formules ciselées, il « invente » le plombier polonais. Dans un entretien au Figaro, le 14 mars 2005, Villiers met en garde contre la directive Bolkestein (du nom de l’ex-commissaire européen au marché intérieur) qui « permettra à un plombier polonais ou à un architecte estonien de proposer ses services en France, au salaire et avec les règles de protection sociale de leur pays d’origine. Sur les 11 millions de personnes actives dans les services, un million d’emplois sont menacés par cette directive. Il s’agit d’un démantèlement de notre modèle économique et social. »

Chacun croit le traité enterré...

La formule fait mouche. Le plombier polonais devient, et demeure, le symbole du dumping social imposé aux peuples européens. Les partisans et les adversaires du traité s’écharpent sur la directive Bolkestein qui focalise tous les débats : les premiers crient au fantasme, à la xénophobie (Giscard), les seconds dénoncent une réalité, celle des travailleurs détachés dont la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) estimait le nombre à 261.300 en France en 2019, hors transport routier.

Après dix mois de débat, le « non » l’emporte le 29 mai 2005 par 54,6 % des suffrages exprimés, soit 2,6 millions de voix de plus que le « oui ». « Un jour, les Européens remercieront les Français d’avoir voté non car la seule Europe qui peut marcher est celle des nations et des projets », réagit alors Lech Wałęsa. Chacun croit le traité enterré. C’était compter sans l’obstination des eurocrates et de Nicolas Sarkozy qui, trois ans plus tard, fera adopter par le Parlement le traité de Lisbonne, qui reprend l’essentiel du traité rejeté par référendum…

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